Non, « jeune et jolie » ne fait pas partie de mes compétences
À l’occasion d’un pot de départ groupé, un collègue est venu me parler de sa nouvelle opportunité professionnelle : nous avons échangé quelques minutes avant que son attention ne se perde sur mon épaule, et plus précisément sur ma bretelle de soutien-gorge. Sans crier gare, mais surtout sans m’en informer, il s’est permis de la remettre à l’endroit et de se justifier en disant : « Désolé, cela me perturbait. » Sur ces entrefaites, il est parti, ne me laissant pas le temps de répliquer.
Nous étions une petite trentaine de mon entreprise à nous être donnés rendez-vous dans un bar pour fêter leurs nouvelles opportunités. J’y allais contente de pouvoir nous retrouver dans un cadre non-professionnel et comptais bien en profiter pour parler de mon avenir, sachant que mon contrat de stage touchait à sa fin ! J’y fêtais aussi indirectement mon propre départ avant le grand saut dans le monde professionnel et la vie active. Mais ce moment que j’imaginais être léger et décontracté s’est transformé en de nombreuses micro-agressions qui m’ont laissée, en fin de soirée, un goût amer.
Il me complimente quand je vante les mérites de sa boîte
Très vite est arrivé le fameux moment où le bar ferme et où il faut trouver un endroit de repli. Pendant cette période de latence, une collègue vient me présenter un ami quinquagénaire qui travaille justement dans une entreprise que je souhaitais vivement rejoindre ! Je suis ravie de le rencontrer et de lui parler de mon vif intérêt pour sa boîte. Mais, je sens qu’il est plus intéressé par ma personne que par mon avenir professionnel : il me parle de moi quand je lui parle de son entreprise et me complimente quand je vante les mérites de sa boite. C’est donc un peu gênée et agacée que je décide de prendre congé en le remerciant de ses conseils. Je ne souhaite pas poursuivre cette conversation au risque d’une mauvaise interprétation de sa part, malgré le fait que je pourrais y gagner d’autres précieuses informations.
Nous décidons tous d’enchaîner dans le bar voisin et, alors que je discute avec une amie, ce monsieur revient vers moi et me prend le bras fermement, annonçant qu’il y rentrerait avec moi pour, je cite, « être sûr de pouvoir passer ». Je retire mon bras, lui annonçant qu’il n’aura pas besoin de moi, et je lui tourne le dos, poursuivant la conversation avec mon amie qu’il avait interrompue.
Le sexisme au travail, les hôtesses d’accueil le subissent tous les jours. Elles témoignent : « On n’est ni des objets, ni des punching-balls. »
Mais, une fois rentrée, et alors que je suis en train de passer ma commande au bar, ce dernier revient et insiste pour me payer un verre. Je décline poliment. Lui insiste, et je décline encore, cette fois-ci plus fermement. Monsieur n’a pas l’air de comprendre et insiste encore et encore. J’ai beau lui expliquer que « non merci, je suis assez grande pour m’offrir des verres », celui-ci ne semble pas comprendre. À tel point que j’ai dû interpeller un collègue qui passait par là pour qu’il vienne me parler et espérer ainsi mettre un terme à ses insistances.
Une fois mon verre en main – que je me suis moi-même payée –, je m’assoie à une table. Et, même pas dix minutes après, monsieur revient, me demandant si j’avais eu peur et m’explique qu’il avait juste l’intention de m’offrir un verre. Je répète une énième fois que, j’entends, c’est gentil mais non merci. Je me demande si je ne l’ai pas jugé trop vite et si, dans le fond, il ne voulait pas simplement être gentil… mais pile au moment où je commence à m’en vouloir, lui regarde mes bagues et me demande si je suis mariée « car une si jolie fille comme moi, ça ne l’étonnerait pas ». Encore une fois, je prends congé lui, expliquant que je suis en couple, heureuse, et que non merci quoi que ce soit.
Je me sens comme une poupée désincarnée
Je n’ai qu’une hâte : rentrer chez moi ! Le temps de retrouver dans le bar bondé mon amie avec qui je dois rentrer, un autre homme me prend par la taille et me colle à lui pour me poser une question à l’oreille. Je me dégage fermement et m’apprête à le recadrer quand je me sens tirée par le bras en arrière ! Je me retrouve face à face avec monsieur qui me dit avec un grand sourire : « Je t’ai sauvée ! » Je me sens comme une poupée désincarnée que l’on se disputerait en tirant tantôt sa taille tantôt son bras. Je quitte cette soirée qui me met de plus en plus mal à l’aise.
Rentrée chez moi, vide et triste, j’échange avec un collègue, lui racontant ce qu’il s’est passé. Mais… en voulant me rassurer, il m’explique : « Tu sais tu iras loin, tu es jeune et jolie ! Même untel (celui qui m’a remis ma bretelle) m’a dit que t’avais un beau visage ! Alors tu vois ! » Moi, tout ce que je retenais de cet échange avec cette personne, c’est qu’il n’avait remarqué que ma bretelle tournée et mon joli visage, mais pas la pertinence de mon propos… Et que d’une potentielle rencontre intéressante pour mon avenir, il n’en était ressorti qu’un mec lourd qui ne comprend pas « non merci ». Un mec qui, dans une dernière tentative, m’a ajoutée à 3h30 du matin sur les réseaux et a trouvé mon adresse mail pro pour me dire qu’il « espérait ne pas avoir été trop lourd… ☺ ! »
Et bien si, il l’avait été et il l’était encore.
Je suis aussi un cerveau !
Entre copines, on se disait toujours que c’était la faute à pas de chance et que ce n’était pas partout pareil ; même si on se racontait nos péripéties au travail, les blagues scabreuses et, pour les moins chanceuses, les agressions subies. Ce n’était donc pas la première fois que j’étais confrontée à du sexisme en entreprise mais, de façon aussi forte, c’était une première ! Et avec la multitude de témoignages qui pullulent en ce moment sur les réseaux…
Adélaïde fait référence au #BalanceTonStage, devenu viral courant septembre. Le compte Instagram du même nom répertorie les remarques sexistes subies par de nombreuses femmes en entreprise.
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Je prenais conscience de l’ampleur du travail qu’il restait à faire pour espérer, un jour, être un peu plus considérée. Dans mon canapé, au beau milieu de la nuit, j’ai compris que, parce que j’étais une femme, je devrai me battre pour prouver que je ne suis pas qu’un physique mais aussi un cerveau ! Que je devrai être doublement plus ferme pour que l’on me respecte et me reconnaisse pour mes capacités et non pour mes formes. Et que je devrais sûrement encore en supporter de nombreux des « blagues » ou commentaires dits sur le ton de l’humour mais qui, dans le fond, sont loin d’être drôles.
Je refuse de les laisser croire que je ne suis qu’un joli visage ou une blonde sympathique. J’ai décidé de doublement me battre pour leur prouver, mais surtout pour me prouver que je suis capable d’aller où je le souhaite et de réussir professionnellement.
Adélaïde, 23 ans, en recherche d’emploi, Paris
Crédit photo Unsplash // CC Charles Deluvio