Travailleur dans le BTP : la reprise oui, mais à quel prix ?
Je travaille dans le secteur du BTP. Je suis encadrant chantier. Au début du confinement, les gestes barrières et le respect des règles sanitaires ne pouvaient pas être pris en compte sur les chantiers. On s’est demandés : « Comment on va pouvoir à la fois maintenir notre activité et en même temps respecter le confinement ? » Je ne savais pas comment ça allait se passer : d’un point de vue financier surtout, mais aussi par rapport aux liens contractuels que j’ai avec mes clients (l’État ou des centres hospitaliers).
Tout s’est enclenché très rapidement. On fonctionne beaucoup avec des fournisseurs et ce sont eux qui ont fermé en premier. Du jour au lendemain, on s’est retrouvés sans matériaux pour continuer nos chantiers et maintenir une production correcte. Et dans le BTP, sans les chantiers, le secteur est complètement à l’arrêt.
Les compagnons s’inquiétaient aussi pour leur santé. Ça a tout de suite été la priorité : la sécurité de mes collaborateurs, la santé de mes gars. J’ai très rapidement décidé de fermer le chantier et de renvoyer tout le monde à la maison, sans pour autant savoir comment ça allait se terminer.
Tout le monde a été confiné. J’ai réussi à travailler de chez mes parents et à maintenir une activité. Mais la plupart de nos gars sont étrangers, ils parlent moyennement français voire pas du tout. Cette situation est vraiment compliquée pour eux, ne serait-ce que pour comprendre ce qu’il se passe à la télévision et dans le monde, et la gravité de la situation.
Travailleurs du BTP, on n’est pas de la chair à construire
Et la hiérarchie était assez confuse sur ce qu’il se passait. On a fait des visioconférences : des documents officiels de la part des services de sécurité ont été diffusés pour pouvoir maintenir et respecter les gestes barrières. Mais même elle ne savait pas quand on allait reprendre.
Après deux mois d’arrêt des chantiers, on ne savait toujours pas comment ça allait se solder. La situation entre le secteur du BTP et le gouvernement a été très compliquée dès le départ.
Au début du confinement, les échanges entre le gouvernement et le secteur du BTP étaient houleux. Fin mars, le gouvernement a finalement pris en considération la situation précaire – tant financière que sanitaire – des travailleurs dans les chantiers.
Confinement : conflit ouvert entre gouvernement et entreprises du BTP sur le maintien des chantiers https://t.co/6ee7hPya4S
— Le Monde (@lemondefr) March 20, 2020
Puis, le gouvernement nous a demandé de reprendre notre activité le 20 avril, mais ce n’est pas du tout quelque chose qu’on a partagé. J’ai vraiment ressenti qu’on était de la chair à construire, que nos ouvriers étaient là uniquement pour bâtir et qu’on allait résoudre le problème post crise sanitaire avec du recrutement et les agences intérim.
On reprend, chantier par chantier
Néanmoins, le 20 avril, j’ai repris la production de mon chantier et mes déplacements dans des grandes villes. J’appréhendais un peu parce que mes parents sont considérés à risque. Je ne savais pas si je devais retourner chez moi me confiner seul ou rester chez eux…
On reprend avec des mesures sanitaires : on a des masques, des gants, du gel, on a adapté les horaires et les repas. On a agrandi le réfectoire, les sanitaires et la base vie en rajoutant des bungalows, pour avoir plus de place et respecter les un mètre de distance.
Chacun a une heure précise pour arriver sur site et une heure précise pour aller manger et repartir. On a une équipe spéciale qui vient désinfecter le chantier aussi. Ça a été mis en place pour 200-250 personnes mais ça va, les gens sont sensibilisés depuis le temps qu’on est en confinement ! Et puis tout le monde a envie de reprendre car les ouvriers, en chômage partiel, touchent seulement une partie de leur salaire.
Ça reste une phase test. On redémarre chantier par chantier en attendant de voir si ça fonctionne.
À quelle sauce vais-je être mangé économiquement ?
Aujourd’hui ça fait deux semaines qu’on a réattaqué. Les fournisseurs du BTP ont rouverts, mais on a pas de contact direct avec eux. Tout se fait de manière électronique. C’est une grosse adaptation et de gros efforts, on espère que ça va aller en s’améliorant.
Nans est infirmier en service Covid. Il n’a pas le choix de travailler pendant toute la période du confinement. Il témoigne du stress et de la pression quotidienne à l’hôpital.
Par contre, je ne sais toujours pas à quelle sauce je vais être mangé du point de vue économique. Les délais sont toujours ce qu’ils sont : je dois toujours livrer le bâtiment le même jour, la même heure. Nos clients sont plus ouverts à la discussion car on a eu des accords avec le gouvernement. Mais la grosse question c’est surtout concernant les assureurs : ils doivent nous répondre sur la proportion financière de ce qu’ils vont prendre en compte de nos pertes depuis le début du confinement.
Il faut que je reprenne parce que c’est trop long, mais il y a beaucoup trop de conséquences financières derrière. C’est évident qu’on va perdre de l’argent. Moi, je me concentre surtout sur le fait que mes compagnons travaillent dans des conditions acceptables.
J’en attends beaucoup du gouvernement, des assureurs, des clients pour qu’on puisse surmonter cette crise ensemble. Pour moi, c’est important de commencer à voir le bout du tunnel et de prévoir une vraie reprise. Car, d’un point de vue économique, ça devient vraiment critique.
Quentin, 23 ans, salarié, Lyon
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