Voir ma famille au parloir, c’est une double peine (3/9)
Le parloir, c’est un vrai stress pour la famille. D’abord, à l’entrée, elle ne doit pas avoir de retard, pas la moindre minute, sinon la porte sera fermée.
Moi, quand je vais au parloir, je me lève à 7 heures pour avoir le temps de me faire «beau» pour ma famille. Je mets un peu de musc pour remplacer le parfum, même si je sais que ça ne sert à rien. Car je vais passer deux heures, ou presque, à attendre, en passant par trois salles : une première à l’étage, où il y a ma cellule, une deuxième au premier étage, près du portique, et la dernière au niveau des cabines du parloir.
Dans les salles d’attente, devenues des fumoirs avec le temps, on sent la clope. Avant d’entrer au parloir, il faut faire attention à ne pas faire sonner le portique. Si tu sonnes trop de fois, on peut te renvoyer en cellule. Pareil pour la famille : s’ils sonnent trop, pour toutes sortes de raisons (une boucle d’oreille, la boucle d’une veste ou l’agrafe du soutien-gorge), ils peuvent les renvoyer chez eux. Un jour, ma mère a sonné trois fois et le maton lui a dit qu’elle n’irait pas au parloir ce jour-là.
On arrive devant nos familles pour quarante minutes de parloir. On se sent fatigué, souvent on oublie ce dont on avait prévu de discuter, tellement l’attente nous a endormi le cerveau. Quand la famille vient, je sens qu’elle fait semblant de ne pas avoir l’air lassée de venir en prison. Mais ça se ressent.
Cet article est issu d’une série de témoignages publiés dans Libération, à lire juste ici.
Pour venir, ma mère se réveille tôt. Elle prend deux bus. Le premier l’emmène à la gare, et le second, devant la maison d’arrêt. Elle a toujours un gros sac de linge propre, qu’elle porte à bout de bras. Je n’imagine même pas l’énergie et la force que cela lui demande car elle est tout de même quinquagénaire. Elle me ramène du linge et des livres, la plupart du temps de philosophie, des auteurs comme Paulo Coelho ou Khalil Gibran.
Ma mère, elle cherche toujours des sujets futiles pour masquer le fait qu’elle en a marre. Alors on parle de mon équipe de foot préférée, l’OM, et d’autres sujets. Mais jamais de comment ça se passe ici. Je n’aime pas les immerger dans cette atmosphère de détention. Par compassion, je lui dis de rester à la maison, de se reposer. Eux, la plupart du temps ils veulent venir trois fois par semaine, lundi, mercredi et vendredi, ils se retrouvent une heure, une heure et demie, ils voient des barreaux, du bruit, ils sont dans une atmosphère de détention.
Ils doivent y penser en rentrant à la maison, c’est une double peine pour moi car le mal-être de mes proches me touche. Avec du recul, je me dis que j’aurais préféré qu’ils ignorent tout de la situation. J’aimerais qu’ils croient que je suis à l’étranger ou autre chose. Je ne sais pas quelle excuse j’aurais trouvée pour leur cacher que je suis incarcéré. Ce serait un mal pour un bien : je n’aurais pas tout le soutien et la force que j’ai actuellement, mais j’aurais pu les préserver de tout ce qu’ils vivent en ce moment, car ils ne sont pour rien dans la situation. Malgré tout, ils font preuve d’une force énorme.
Le parloir, c’est essentiel mais je ne souhaite à personne de fréquenter une maison d’arrêt. On ne peut empêcher ses proches de nous rendre visite quand ils en ont envie ou qu’ils le prétendent. C’est bien de garder des liens familiaux et avec l’extérieur, mais j’ai honte de les impliquer dans ma vie carcérale.
Ibrahim, 21 ans, en détention à Fleury-Mérogis
Crédit photo © Catherine Rechard
Je veux savoir comment marche les sonnettes du parloir