Avec 50 kilos en moins, ce corps n’est plus le mien
J’avais 17 ans, et l’impression de me noyer. J’étais dans un corps qui ne me plaisait pas, et je me sentais bloquée dedans, à cause de mon poids. C’était horrible cette impression d’être dans une boîte sans pouvoir en sortir. Ma seule issue, c’était la chirurgie. Je me suis fait opérer il y a un an et demi et, depuis, beaucoup de choses ont changé. Notamment mon apparence, et l’estime que j’ai de moi.
J’ai perdu 50 kilos en très peu de temps et, oui, je sais que c’est énorme. Le poids d’un adolescent, voire celui de certaines jeunes femmes. Il faut savoir que j’ai toujours été en obésité. J’ai décidé de subir une opération bariatrique à mes 18 ans pour perdre du poids, mais j’ai perdu tellement de kilos que j’ai du mal à me reconnaître. Je me vois toujours comme avant. Pourtant, la transformation est bien là, et même évidente.
Envie de perdre ce poids social
J’ai été suivie par une première diététicienne. Puis, une deuxième. Puis, une troisième mais ce qu’elles me proposaient ne fonctionnait pas. Je me sentais frustrée et surtout, pas comprise. J’ai essayé plusieurs régimes restrictifs soi-disant « miracles » aussi frustrants les uns que les autres. Comme beaucoup de jeunes filles, manger des feuilles vertes matin, midi et soir, ou des smoothies à base de carottes ne me suffisait pas.
La société est tellement basée sur l’apparence que ne pas rentrer dans les critères devenait pour moi une réelle frustration. Les séries et les médias affichent constamment des filles fines ou de taille moyenne. Sur les réseaux, il n’y a que ça, ce qui crée une certaine pression. Celle de ne pas être normale et de ne pas rentrer dans les critères de beauté que la société a créés.
On m’a souvent fait comprendre que je n’étais pas normale. À mes 13 ans, je suis allée avec des amies faire du saut à l’élastique, sauf que le poids max pour y participer était de 95 kilos. Moi, j’avais passé le cap des 100 kilos depuis longtemps. Le monsieur m’a dit que je ne pouvais pas le faire, et je n’ai pas voulu dire à mes amies qu’il m’avait recalé. J’ai donc menti en disant que j’avais mal à la cheville. J’avais honte.
L’idée d’une opération
J’ai décidé de me faire opérer car l’idée de perdre tout le poids que j’avais à perdre me paraissait irréaliste. Un jour, je suis allée boire un verre avec ma cousine et ses copines. Elles parlaient de cette opération. L’une d’elles l’avait faite et elle s’était clairement métamorphosée. Après cette discussion, j’ai tapé sur Internet « chirurgie bariatrique » et ça m’a directement affiché toutes les opérations qui existent. Moi, j’ai fait une sleeve. Ça consiste à retirer les trois quarts de l’estomac. Durant la discussion, elles ont parlé d’un chirurgien en particulier qui avait beaucoup de succès. Je l’ai contacté et, deux semaines plus tard, j’ai eu un premier rendez-vous avec lui.
Il m’a expliqué le danger de cette opération, les douleurs post-opératoires, mais surtout le fait que cette intervention allait engendrer un nouveau mode de vie, de nouvelles habitudes à respecter. Je ne pourrai plus manger comme avant. Les rendez-vous se sont enchaînés toute l’année. J’ai été suivie par une équipe médicale complète, y compris une psychologue qui devait déterminer si j’étais assez stable mentalement pour subir cette opération.
Un appétit d’oiseau
La douleur de l’opération a été atroce. Un cauchemar. Les mois qui ont suivi ont été très compliqués. Je devais réapprendre à manger, mais en minuscules quantités. J’ai littéralement mangé qu’une compote par jour ou un bol de soupe pendant deux mois. Passer d’une assiette entièrement remplie voire deux à une compote, ce fut très brusque. Les mois suivants, j’ai pris mes marques. Je suis passée d’un 4 XL à un L / M. Tout a changé. Mon visage. Mon ventre. Mes hanches. Ma silhouette.
Avec un quart de l’estomac, sortir manger en extérieur est un peu difficile. Au bout de deux, trois cuillères je n’ai déjà plus faim. J’ai mis trois mois à faire mon premier restaurant et, en sortant, j’ai tout vomi sur le bord de la route. Pendant ce repas, j’ai eu l’impression d’être constamment observée.
On m’avait répété plusieurs fois que je ne mangeais rien. Que je devais un peu me lâcher. Par frustration et pression, j’ai mangé un peu plus que ce que je pouvais. Ce fut un calvaire. J’ai eu l’impression que mon estomac se déchirait en mille morceaux. Après ça, mes proches ont compris que je ne pouvais plus manger autant. Aujourd’hui, je vais souvent manger en extérieur avec mes amies. Elles ont l’habitude que je mange peu et tournent ça à la blague en me disant qu’avec moi, on fait beaucoup d’économies.
Une partie de moi est partie avec mon poids
Je crois que j’ai du mal à m’accepter. À accepter la nouvelle moi. La vision que j’ai de moi est toujours la même qu’il y a un an et demi. Quand il arrive un grand changement dans nos vies, on a du mal à s’y faire, et je crois qu’on doit passer par une phase d’acceptation. C’est comme si une partie de moi était partie avec tous ces kilos. Le regard des gens a beaucoup changé. J’ai croisé il y a quelques mois une ancienne connaissance. Quand il m’a vu, il m’a sorti des phrases comme : « Tu t’es coupée en deux ? » ; « T’as fait la grève de la faim ? » ; « Ça te va beaucoup mieux, tu as enfin la silhouette d’une femme. » Ces phrases m’ont attristée. C’est comme si avant, pour lui, j’avais été un alien et pas une personne à part entière.
Aujourd’hui, je ne suis plus suivie par personne. Habituellement, il y a un suivi post-opératoire, mais je me suis fait opérer en pleine crise du Covid. Les hôpitaux étaient saturés et les médecins également.
Antoine n’a pas envie de changer pour que son corps corresponde à la norme : il préfèrerait que ce soit les mentalités qui évoluent.
Pourtant, l’opération n’est pas sans conséquence sur ma santé. J’ai beaucoup de carences et je suis souvent fatiguée. Pour mon estomac, il s’agit d’un muscle élastique. Petit à petit, il va grandir et finir par reprendre une taille normale pour une femme.
Je ne regrette pas de m’être fait opérer. Le poids que je fais aujourd’hui, je le faisais quand j’avais 11 ans. Ma santé est moins en danger et j’ai quand même plus d’estime de moi. Cette opération m’a appris à me réalimenter. À créer une nouvelle relation avec la nourriture. Je prends plus de temps pour manger et ressentir les goûts, les saveurs. Je me fais enfin plaisir alors qu’avant, je me goinfrais.
Léaah, 19 ans, volontaire en service civique, Évry
Crédit photo Unsplash // CC Fuu J
Les femmes et la chirurgie de l’obésité
82% des patient·es ayant subi une chirurgie de l’obésité sont des femmes.
Pourquoi ces opérations sont-elles si genrées ?
Déjà, parce que le corps des femmes subit une pression sociale bien plus forte que celui des hommes. La société est organisée autour du culte de la minceur des femmes, particulièrement sur les réseaux. À titre d’exemple, 32 % des adolescentes détestent leurs corps et estiment qu’Instagram aggrave ce sentiment.
L’une des motivations principales des femmes qui décident de subir cette chirurgie, c’est aussi de mettre un terme aux violences gynécologiques dont elles sont victimes. Les femmes grosses subissent plus que les autres ce type d’agressions lors des consultations, de leur suivi de grossesse ou de leur accouchement. Elles sont aussi exclues de nombreux dispositifs comme la PMA, par exemple.