Kamel A. 16/10/2024

« À Barbès, y’a pas d’oiseaux, y’a que des crapules ! »

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Le film « Barbès, little Algérie », avec Sofiane Zermani, sort en salle le 16 octobre. C'est le quartier de Kamel, 19 ans. Un quartier qu'il veut quitter. Celui où il a subi la violence de son père, dealé et commis un délit qui lui a valu d’être emprisonné pendant un an.

« Malboro, Malboro ! » On est à Barbès sur le boulevard à la sortie du métro. C’est mon quartier. Le boulevard est grand. Il y a le pont du métro au-dessus. Des gens, partout, qui viennent là pour les vêtements et pour les gâteaux Succès. C’est les gâteaux du bled. Par terre, c’est la poubelle de la société.

Y’a pas d’oiseaux. Y’a que des crapules. Des gens qui ont pas de vie. Des cons. Prêts à tout. Des gens qui disent : « Je peux te tuer pour 10 euros. » Y’a énormément de vol à l’arraché et des pickpockets. Toute la journée. Faut être en chien d’argent pour faire ça ! C’est des touchés d’la vie !

Un jour, y’en a un qui a pris le téléphone de ma mère. J’ai appelé mon meilleur pote, le receleur de là-bas. Le téléphone est revenu en 30 minutes ! En fait, ma mère on y touche pas. Et les darons et les daronnes aussi. On respecte les gens du quartier.

Le quartier, c’est la Goutte d’Or. Faut remonter un peu du métro. Y’a des petites rues. Là, tu peux te balader tranquille. Mais le square Léon, si t’es pas de là-bas, si t’es bien habillé, t’y vas pas. Sinon tu repars à poil.

« En forêt, je me sens calme »

Y’a un endroit, c’est l’inverse de Barbès. C’est la forêt. C’est là où je peux respirer. Là où je me sens calme. Je vais dans le 91 et le 77. Le mieux, c’est en Suisse, chez ma tante, la soeur de ma mère qui a 25 ans. C’est calme. C’est propre. Y’a de la forêt partout ! Il suffit que je traverse la rue pour y aller. Ça fait longtemps que j’y suis pas allé, mais quand j’y vais je fais de la randonnée. Tu peux respirer de l’air pur. Si je pouvais j’irais vivre là dès demain !

J’ai grandi en foyer. Mon père battait ma mère… et moi. L’alcool. Mon père, c’était le poison. À 3 ans, j’ai parlé à la psychologue à l’école. Elle a convoqué ma mère. Je m’en rappelle comme si c’était hier. La psychologue, elle lui a offert un jus d’orange. J’ai regretté d’avoir parlé. Mais j’ai peut-être sauvé ma mère. Et moi.

Mon foyer n’était pas loin de la Goutte d’or. Quand je rentrais de l’école, je revenais au quartier. J’allais au square Léon, voir mes potes, les grands. J’avais 11 ou 12 ans quand j’ai commencé à bikrave. J’ai fait des choses que j’ai regrettées. C’était pas une question de vie ou de mort. C’était une question de « je fais pas, je mange pas ».

Pas assez clean pour mourir

En janvier 2024 : stop ! pas le choix. Je suis allé au chtar. J’ai pris un an. Chez les majeurs. À la Santé. Je suis sorti récemment. Je savais pas où aller. Je suis allé chez mes parents. Ça va. C’est plus comme avant.

En fait, là, je vois que si je reste au quartier, je vais être retenté. Quand tu bikraves, tu peux gagner 2 000 ou 3 000 euros par jour. Je veux faire de l’argent. Mais pas comme avant. J’ai peur des comptes à rendre. Je suis pas assez clean pour mourir tout de suite en bon muslim.

Je vais trouver un taf dans la sécurité. Je vais bosser au Stade de France. Je voudrais bien avoir un petit appart. J’en ai marre de Barbès. Ça évolue pas. J’y suis depuis que je suis tout petit. Je suis nerveux. Ma jambe arrête pas de bouger. Je me ronge les ongles et la peau autour. Je veux bouger ! Dans Paname d’abord. Et peut-être un jour près de la forêt.

Kamel, 19 ans, en recherche d’emploi, Paris

Crédit photo ©EASTFILMS2425FILMSCHELIFILMS Image extraite du film Barbès, little Algérie réalisé par Hassan Guerrar. Sortie en salle le 16 octobre 2024.

 

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