Jusqu’au bad trip de trop
« Jamais de la vie je ne me ruinerai la santé avec ces conneries. » Jusqu’à mes 12 ans, je me répète inlassablement cette phrase. Fumer, je ne vois décidément pas l’intérêt. Cette addiction pue, coûte chère, jaunit les dents, et ça détruit la santé…
Tous les jours, à la maison, je nage dans une fumée nauséabonde à cause de mes parents, des fumeurs invétérés. Au collège aussi, les sollicitations ne manquent pas. Mais quand on me propose une clope, je décline poliment.
Puis, un jour, je vois mon grand frère s’en griller une. Et je pense : « Mais qu’est-ce que tu fous ? » Sans jamais oser lui dire en face.
« Tiens, essaie, tu vas kiffer »
Mes certitudes et mes promesses volent en éclats lors d’une soirée banale. On est seuls à la maison avec mon frère. Après avoir enchaîné quelques clopes, je le vois sortir un paquet de feuilles. Il commence à effriter un petit truc vert, roule un cône et l’allume. La fumée est inhabituelle. L’odeur est fleurie, douce, agréable. Je n’ai pas le temps de poser la moindre question que mon frère me le tend en me disant : « Tiens, essaie, tu vas kiffer. »
Mon cœur s’emballe. Je commence à stresser comme si j’étais en plein contrôle de maths. J’ai 12 ans et je n’ai jamais fumé.
Je ne sais pas ce que ça va me faire alors la curiosité l’emporte sur la peur. Une première taffe, je crapote et je recrache tout en toussant à pleins poumons. Je recommence. Cette fois, j’ai l’impression que la fumée est passée dans chaque parcelle de mon corps, j’aime cette sensation. Les autres effets ne tardent pas à se pointer. J’ai atrocement mal à la tête, mais en même temps je me sens apaisé, tranquille. Je ne pense pas avoir déjà ressenti ça avant.
Je manque de m’exploser le crâne
Une fois par-ci, une fois par-là, je réitère l’expérience. Je demande des boulettes à mon frère. D’un geste généreux, il me dépanne. Mais, plus le temps avance, plus j’augmente la fréquence, jusqu’au jour où ma consommation devient quotidienne. Tout l’argent que je reçois à mes anniversaires passe là-dedans.
Un soir, je fume plusieurs joints dans mon lit. Je me lève pour aller aux toilettes. Arrivé au niveau des escaliers, j’ai la tête qui tourne, ma vision se trouble, c’est le noir complet. Je m’écroule. Dans ma chute, je casse une enceinte et passe à quelques centimètres d’un meuble. Je manque de m’exploser le crâne. Cet incident me marque quelque temps, mais ça ne me sert pas de leçon.
Une addiction pleine d’illusions
Petit à petit, tout commence à tourner autour de la beuh. Au collège, rares étaient ceux qui avaient déjà fumé un joint, mais au lycée, c’est monnaie courante. Ce qui me motive à sortir du lit le matin, ce sont uniquement les joints que je vais fumer en partant, ou ceux que je partagerai avec mes potes tout au long de la journée.
Je me dis que le cannabis ne m’apporte que du bon, que ma vie serait morose sans. Quand j’ai fumé, j’ai l’impression de mieux réussir mes examens, je deviens plus sociable, et j’ai même perdu les kilos en trop qui me pourrissaient la vie.
La réalité, c’est que je fume tellement que je ne mange qu’un repas dans la journée, parfois aucun. Tant pis si les joints me coupent l’appétit. Je ne prends pas non plus conscience de l’ampleur des risques quand je vends des joints aux autres lycéens. Je ne m’inquiète pas lors de mon exclusion temporaire après m’être fait choper, en salle de permanence, en train d’en rouler un.
Comme un camé avec son héroïne
Les choses commencent à se corser en études supérieures. Je me lance dans un BTS informatique. Mes collègues de fumette ne sont plus là pour m’accompagner. Je suis nostalgique de ces moments conviviaux, donc je me mets à fumer seul.
Avant, je pouvais me persuader que je fumais du shit pour passer des bons moments, pour faire comme tout le monde. Sauf que, maintenant, je me rends compte que je suis devenu dépendant. Si je n’ai pas ma dose, je psychote. Un peu comme un camé avec son héroïne.
J’abandonne mon BTS et, la majeure partie du temps, je reste chez moi et je continue à matraquer mon cerveau à coups de grosses battes de beuh.
À la rentrée, je m’inscris à la fac. Là, c’est un choc. Mon cerveau est tellement rongé qu’il n’est plus capable de raisonner logiquement. J’ai parfois du mal à lire et comprendre un texte sans devoir repasser trois ou quatre fois sur chaque phrase. C’est difficile de faire des calculs mentaux simples. Un peu comme si Mike Tyson était venu me réveiller avec son meilleur coup droit.
Je suis peut-être devenu un peu débile, mais je reste assez lucide pour identifier la source du problème : cette addiction. Donc, je décide de limiter un peu ma consommation. Sauf que j’ai l’impression que le cannabis fait partie de moi, de mon identité.
Addiction, bad trip et séquelles
Le vrai déclic intervient après un bad trip. Je suis allongé dans mon lit. J’ai fumé quelques joints et je commence à avoir des pensées stressantes. Je sens une goutte sur le front, puis une deuxième, puis encore une autre, jusqu’à avoir le front totalement trempé. Mon cœur commence à s’emballer de plus en plus. J’ai la tête qui commence à chavirer, les mains tellement mouillées qu’une serviette ne suffirait pas à les éponger. Je deviens paranoïaque.
Cette expérience, que je ne souhaite à personne, m’a permis de comprendre que j’avais été ravagé par cette immondice. C’est en quelque sorte un mal pour un bien.
Mia en a bien conscience : elle est complètement accro au cannabis et n’arrive pas à s’en sortir.
Ça fait maintenant trois ans que je n’ai fumé aucun joint. Pourtant aujourd’hui, j’ai 22 ans, je galère à lire un texte sans me tromper de mot, j’ai du mal à résoudre des problèmes de maths niveau collège. J’ai aussi des trous de mémoire si profonds qu’ils me font oublier le sens de certains mots ou même certains moments importants de ma vie. Des fois, j’oublie simplement ce à quoi j’étais en train de penser dix secondes auparavant. Je dois me concentrer intensément pour retrouver le fil. Et la liste est encore longue.
Alors, quand je fais le bilan de tout ça, le cannabis m’a apporté quelques moments de joie avec mes potes, quelques moments de détente. Mais ces instants vont peut-être me mener à la maladie d’Alzheimer ou, qui sait, à la schizophrénie. Et c’est là que je me dis : « Putain, je n’aurais jamais dû le fumer ce joint quand j’avais 12 ans. »
Zeg, 22 ans, étudiant, Bailleul
Crédit photo Unsplash // CC Seth Doyle
La différence entre le CBD et le THC
Le CBD et le THC sont toutes les deux des molécules présentes dans le cannabis. La vente de CBD est autorisée en France, mais pas celle de THC.