Jeanne F. 21/06/2024

« J’ai fait un déni de grossesse »

tags :

Découvrir qu’on attend un enfant au moment de l’accouchement concerne des milliers de femmes chaque année en France. Jeanne venait de fêter ses 15 ans lorsque ça lui est arrivé.

Le 13 mai 2023, ma vie a pris un autre sens. Cette date n’est déjà pas un jour comme les autres. C’est mon anniversaire. La journée avait bien commencé, mais vers 13 heures, alors que nous avons une vingtaine d’invités à la maison et que la fête avec ma famille bat son plein, je me sens soudainement mal.

Je ne tiens plus sur mes jambes. Je n’ai jamais senti ça de toute ma vie. Je suis dans un état second. Moi qui suis en permanence surexcitée, je suis obligée de me coucher en pleine journée. Les douleurs deviennent intenses et j’ai l’impression que je vais mourir. J’ai mal au ventre, au dos, partout. La douleur me semble de 1 000 sur 10. Je me roule en boule dans mon lit et je pleure de douleur. Ma mère me donne du Doliprane en disant : « On attend un peu et on voit si ça passe. »

À 3 heures du matin, je ne dors toujours pas. Je me lève pour boire et je sens que je suis toute trempée. Je réveille alors ma mère qui décide de m’emmener à l’hôpital. À ce moment-là, la douleur est si intense que les secondes me semblent être des minutes, et les minutes des heures. Arrivée à l’hôpital, je tombe dans les pommes. Je me réveille dans une salle blanche, dans un lit, sous perfusion. Ma mère n’est pas là et je panique. Je me mets à pleurer et fais une crise d’angoisse.

Un ange tombé du ciel

Une infirmière arrive accompagnée de ma mère et m’explique ce qui se passe. Croyez-moi, ces mots résonnent encore. Ma petite vie de fille de 15 ans s’apprête à basculer. Elle se tourne vers ma mère : « Vous voulez lui annoncer ? » Ma mère fait signe que non, alors la soignante s’approche de moi, prend ma main et me dit doucement : « Tu attends un bébé. Tu as fait un déni de grossesse. Le travail est en train de commencer. C’est rare à ton âge, mais il va falloir te montrer forte. Tu vas y arriver. »

Pour moi, cette femme est un ange tombé du ciel. Ça se voit qu’elle est là pour soutenir ses patientes et qu’elle aime son métier. Dans ma tête, ça se bouscule. Bien sûr que je suis dans le déni. Comment imaginer être enceinte à mon âge ! Mon père ? Le papa ? Comment je vais gérer tout ça ? Heureusement, ma mère est là. Elle me soutient. Elle est sous le choc, mais devant moi elle réagit bien. Mon père est dans la salle d’attente et lui prend très mal la nouvelle. Il se met très en colère contre moi. Je pense qu’il se sent trahi. Sa fille, sa fille enceinte ? Sa petite fille a couché ? C’est beaucoup beaucoup trop pour lui.

Il est 5 heures du matin. Un homme – le gynécologue – se présente dans l’encadrement de ma chambre d’hôpital. Il me demande : « Est-ce que ça va ? Tu tiens le coup ? Maintenant, il va falloir que tu prennes une décision importante… Est-ce que tu souhaites garder cet enfant ? » Oula ! J’ai 15 ans, on est en pleine nuit, je crève de douleur, je suis dilatée à 6 cm et je dois prendre une telle décision ?

Présent dans les pires moments

J’appelle le papa, 15 ans lui aussi. On discute pendant 25 minutes. Je l’ai rencontré trois ans auparavant. C’est l’amour de ma vie. Oui, les mots sont grands, je vous l’accorde, mais à 12 ans, tu es loin d’imaginer que tu vas tomber amoureuse et que cet amour va te sauver de toi-même. Ce garçon a été présent dans les pires moments de ma vie. Quand je l’ai rencontré, j’étais en cinquième. Une période très difficile de ma vie.

Je faisais une dépression. Je ne me reconnaissais plus. Je faisais du mal à tout le monde, mais aussi à moi-même. Je m’énervais tout le temps. J’en venais aux mains. J’avais des envies suicidaires. Je me scarifiais. C’était toxique. Je souffrais tellement que même penser me faisait mal. C’était trop pour moi. Je n’ai pas l’habitude de baisser les bras, mais c’était plus fort que moi. Il fallait que je lâche prise. Dans un élan d’épuisement, j’ai malheureusement pris une boîte entière de la Lamaline (morphine) et je me suis taillé les veines. Dans ces moments-là, vous ne vous rendez pas compte des conséquences. Tout ce que je voulais, c’était sortir de cet enfer.

Ce garçon, clairement, il m’a soutenue, il m’a relevée. Il a été tellement fort et pourtant on était si jeunes. Il a fait tout son possible pour me faire sortir de mon lit. Il me faisait manger. Et là, soudainement, je lui annonce qu’il va être père. Et cette fois encore, il décide de prendre ses responsabilités. Il est sous le choc mais il me dit : « Je te suis si tu veux le garder. Je sais que ce n’est pas une décision à prendre à la légère mais je ferai tout pour vous mettre bien, toi et l’enfant. » Pour moi, c’est un immense soulagement.

Une bouffée d’amour pur et de fierté

Peu après, il arrive à l’hôpital accompagné de sa mère. Ma mère lui cède sa place à mes côtés, le cœur serré. Le moment est venu de poser la péridurale. C’est de la sorcellerie ce truc-là ! Dès qu’elle est posée, je ne ressens plus rien. C’est une délivrance. Je reste quatre heures en salle de travail. Puis tout s’accélère, tout se bouscule. On me propose une césarienne mais je décide d’accoucher par voie basse. Croyez-moi, ça fait très très mal, surtout quand les effets de la péridurale se dissipent. J’ai été mal piquée car j’ai une scoliose, et puis je ne suis pas du tout sereine. Les médecins ont beau essayer de me rassurer, je suis sûre que ça va mal se passer.

On est le 14 mai, il est 16h35, un petit garçon de 2,5 kg pointe son petit nez. C’est un beau bébé. Je ne vais pas vous mentir, je ne me souviens pas très bien de ce qu’il s’est passé après. Mais je me rappelle la bouffée d’amour pur et de fierté. C’était juste magique.

Après quatre jours à l’hôpital, je rentre enfin chez moi. Toute ma famille s’est mobilisée pour préparer une ambiance d’amour pour notre retour. Pour moi, c’est très dur. Deux jours avant, j’étais encore une petite fille, j’avais ma chambre pour moi, et tout à coup je ne suis plus seule ! Le papa prend alors la décision de vivre avec nous, chez mes parents, pour voir évoluer son enfant et prendre soin de moi.

C’est notre nouvelle vie maintenant ! Mais ça va changer car, dans quelques jours, j’aurai 16 ans. Mes parents ont accepté de me signer une dérogation pour qu’on puisse s’installer dans un nouveau chez nous, tout près de chez eux. On sera vraiment collés à eux ! Malheureusement je vais devoir aller travailler pour payer le loyer. Je sais que nos parents seront là pour nous, mais ils ne pourront pas tout prendre en charge.

Je pense que vous avez compris qui est la personne qui a marqué à jamais ma vie : c’est mon petit bout de 7 mois, ma plus grande fierté et mon plus gros secret.

Jeanne, 16 ans, lycéenne, Provence-Alpes-Côte d’Azur

Crédit photo Unsplash // CC Anthony Tran

 

Docteur Subtil : « Ces femmes ne s’attendent pas du tout à être enceintes »

En France, une mère sur 2 000 découvre qu’elle est enceinte le jour de son accouchement. Damien Subtil, gynécologue au CHU de Lille, explique que tant qu’une femme n’est pas consciente de sa grossesse, son corps le cache.

« Le déni de grossesse peut arriver à tout le monde, de l’adolescente à la mère qui a plusieurs enfants. Le point commun entre ces femmes, c’est qu’elles ne s’attendent pas du tout à être enceintes. Ça ne leur traverse même pas l’esprit. Elles apprennent qu’elles sont enceintes le jour de l’accouchement. Ça concerne 1 mère sur 2 000 en France. Dans la maternité où je travaille, on accueille quatre cas par an.

Habituellement, les femmes se rendent compte qu’elles sont enceintes parce qu’elles n’ont plus leurs règles. Mais les petits saignements (du col utérin) en cours de grossesse peuvent être pris pour des règles. Par ailleurs, tant qu’on n’est pas consciente qu’on est enceinte, le corps le cache. Normalement, le tour de ventre d’une femme enceinte prend 4 cm quand elle apprend sa grossesse. La sangle abdominale se relâche, car notre esprit influe beaucoup sur notre corps et nos comportements. Quand une femme découvre sa grossesse à neuf mois, du fait d’un déni, on a observé qu’elle prend au moins 10 cm de tour de ventre en 5 minutes. Juste après l’annonce, elle n’arrive plus à fermer le pantalon qu’elle portait en entrant en consultation.

En cas de déni de grossesse, il y a un risque d’infanticide au moment de la naissance de l’enfant. Ça concerne environ 1 % des femmes ignorant qu’elles sont enceintes jusqu’au bout de la grossesse. Comme elles ont accouché seules, elles sont totalement perdues et ne sont plus elles-mêmes quand elles passent à l’acte. En discutant longuement avec ces femmes, lorsque j’étais expert auprès des tribunaux, j’ai réalisé qu’elles ne se souviennent pas du tout de la naissance, du fait d’un phénomène de « dissociation » qu’on observe lorsque l’on a un accident grave, par exemple. En dehors de ces cas exceptionnels, les mères accompagnées avec bienveillance par l’entourage, après un déni de grossesse, s’en sortent très bien. Dans ce cas, elles rattrapent très vite le temps perdu et sont même de très bonnes mères. »

Partager

Commenter