Ce soir-là, mon père est devenu un « monstre »
Je déteste l’alcool. Vous devez sûrement vous demander pourquoi. Tout simplement car il a gâché mon enfance. Eh oui, une boisson pour adultes peut détruire un enfant. Quand j’avais 9 ans, mon père buvait. Pas un ou deux verres à l’apéro. Mais à peu près une bouteille par jour. Pour moi, c’était une boisson comme les autres, jusqu’à ce fameux soir où tout a dérapé devant mes yeux. J’ai vu mon père changer totalement. J’ai vu mon père devenir un « monstre ».
Il a commencé à parler méchamment, à dire des insultes à ma mère du genre « espèce de connasse », « sale pute » et j’en passe. Il a renversé la table basse du salon, alors qu’elle est très lourde. Il a aussi jeté la bouteille de Ricard contre le mur. C’était horrible, la bouteille a explosé, il y avait de l’alcool et des bouts de verre partout par terre et sur les murs. Ce soir-là, j’étais perdue dans mes émotions. J’étais à la fois triste, énervée, déçue, mais surtout j’avais peur. J’avais peur que mon père commence à devenir violent avec ma mère, ma sœur, mon frère ou bien sûr, moi-même.
Une bouteille d’alcool par jour
Depuis ce soir-là, tout a changé. Mon père ne faisait plus rien à la maison. Il restait sur son canapé toute la journée et demandait à mon frère, ma sœur, ma mère et moi de tout faire. On devait être tout le temps là pour subvenir à ses besoins. « Va sortir les chiens » ; « Va me chercher des glaçons, un verre et de l’eau. » Il ne mangeait même plus avec nous à table, on devait lui donner à manger sur le canapé.
Je ne voyais plus une famille, juste des personnes distantes. C’était assez dur car j’ai toujours été proche de ma famille. Au fur et à mesure, je me suis rapprochée de ma sœur qui a sept ans de plus que moi. Ça m’a fait du bien car on rigolait et on sortait jouer dans la rue avec nos voisins. Par contre, on n’a jamais parlé de ce soir-là. Je suppose que c’est parce qu’on ne voulait pas se rappeler de mauvais souvenirs.
Mon père, lui, a continué à boire une bouteille d’alcool par jour. Chaque soir, je devais aller me coucher vers 21 heures, mais je n’arrivais pas à m’endormir car j’entendais mes parents se fâcher à cause de cette boisson. Bien sûr, il s’est reproduit d’autres soirs comme ce fameux soir. Sauf qu’un jour, vers mes 12 ans, ma mère en a eu marre et a décidé d’arrêter leur relation, après vingt ans de mariage.
Impossible de vivre avec cette crainte
Cette situation n’a pas plu à mon père et, pour retenir ma mère, il a fait une tentative de suicide. Il a profité d’un jour où il n’y avait personne à la maison (j’étais à l’école, mon frère ainsi que ma mère et ma sœur travaillaient) pour prendre une corde qu’il y avait dans le garage, pour l’accrocher à la rampe d’escalier, pour ensuite se pendre. Heureusement, ma mère est arrivée à temps, avant le drame.
L’alcool a été pour Alexis un moyen de s’évader de l’ennui. Aujourd’hui, il a réussi à sortir de sa dépendance.
Elle a continué la démarche pour le divorce, car ce n’était plus possible de vivre dans cette crainte que mon père nous refasse du mal. Deux mois après, le divorce a enfin été prononcé. Mon père a déménagé loin de la maison. J’avais 13 ans. Avec ma mère, ma sœur et mon frère, on a enfin pu se séparer de cette boisson qui nous a tous détruits.
Depuis mes 16 ans, je n’habite plus qu’avec maman et on est heureuses. J’ai décidé de ne plus parler avec mon père car, après avoir passé des vacances avec lui, je me suis rendu compte qu’il n’avait pas changé. Depuis, je fais des crises d’angoisse car j’y repense tout le temps. Ma sœur et mon frère ont, eux, renoué les liens. Et lui essaie de reprendre contact avec moi. Je l’ai déjà vu attendre à la sortie du lycée. Mais je ne veux plus lui parler. J’aurai toujours en tête « ce soir-là ».
Hélène, 16 ans, lycéenne, Limoges
Crédit photo Unsplash // CC Kelly Sikkema
Alcool et violences conjugales
Les violences augmentent avec l’alcool
L’alcool réduit les capacités d’autocontrôle de l’agresseur·euse et de défense de la victime, et accroît l’impulsivité et l’agressivité. Sur les 121 féminicides recensés en 2018, 55 % impliquaient une consommation d’alcool ou de stupéfiants.
La consommation régulière accroît le risque
Selon les résultats d’une centaine d’études menées sur le sujet, le risque de violences commises sur un·e partenaire est multiplié par trois dans les couples où l’agresseur·euse à une consommation régulière d’alcool ou de stupéfiants.
Les lobbies ralentissent le travail de prévention
Avec toutes ces données, pourquoi l’alcoolisme n’est-il pas souligné et combattu par les pouvoirs publics ? Lors du Grenelle des violences conjugales en 2019, la question a par exemple été éludée. La raison est simple : l’industrie de l’alcool est très puissante en France, et l’économie et la tradition sont souvent préférées à la prévention.