Paul C. 06/06/2025

Ambassadeur digital de pacotille

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En stage, Paul a été viré d’une grande banque après un mail adressé à ses pairs et tombé entre les mains de la direction.

« Franchement, c’est ridicule. On sert à rien à l’accueil. Comment peut-on attendre de nous, simples stagiaires, qu’on change les habitudes des conseillers en agence ? Ils sont là depuis des années, nous, on est de passage… Je ne comprends pas. »

C’est une fin de journée comme les autres. Fatigué, agacé, sans vraiment réfléchir, je rédige ce mail et je l’envoie à tous les stagiaires. Une impulsion. Un besoin de dire ce que beaucoup pensaient tout bas. Par réflexe, je coche la case « confidentiel » dans le logiciel de mailing. Quelques heures plus tard, il est entre les mains de la direction.

Quand on me convoque, je sais. Face au grand patron, je me demande à quelle sauce je vais être mangé. Impossible de me défendre, tout était écrit, gravé noir sur blanc. Je suis cuit. « Les écrits restent, les paroles s’envolent », comme on dit. À cet instant précis, j’aurais tout donné pour m’envoler, disparaître, esquiver les ennuis.

Mais non ! Je suis là, planté dans le bureau du grand patron. Son regard est froid, sans être agressif. Il m’écoute en silence, puis prend la parole. D’une voix calme, presque détachée, il énonce son verdict : mon comportement n’est pas acceptable. La confiance est rompue. Et puis, la phrase tombe, implacable : « Nous allons mettre fin à votre stage. »

D’un côté, je ressens un étrange soulagement : c’est fini ! De l’autre, une angoisse me serre le ventre : comment vais-je compléter ce stage obligatoire pour valider ma troisième année ?

Dépité, je rassemble mes affaires. Je sors du bureau, longeant le couloir sous les regards de mes collègues. L’un après l’autre, ils croisent mon regard avec une lueur de déception. Un mélange d’incompréhension et de reproche.

Je voulais simplement partager mon ressenti avec les autres stagiaires, exprimer ce ras-le-bol et cette frustration d’avoir un rôle bancal : conseiller fantôme, ambassadeur digital de pacotille. 

Grand remplacement technologique 

J’étais digital angel chez BNP Paribas. Un nom futuriste pour une mission qui l’était moins : être à l’accueil, sans faire d’accueil. Tous les digital angels changeaient régulièrement d’agence afin de promouvoir le digital auprès des conseillers. La mission ? Leur présenter les nouveautés de l’application de la banque.

Mais la direction est allée plus loin : elle a décidé que nous devions changer la manière d’accueillir les clients. Fini l’attente derrière un bureau. L’objectif ? Être debout, proactif, mobile avec un iPad à la main pour interagir différemment avec eux. Un calvaire. 

Mon rôle ? Expliquer aux clients comment utiliser l’application mobile de la banque, leur montrer que certaines opérations – virements, augmentation de plafond – pouvaient être faites en ligne.

Les clients ne comprenaient pas mon rôle et me prenaient pour un conseiller. Ils ne cherchaient pas à digitaliser leur quotidien. Ils voulaient juste qu’on les aide à résoudre leur problème sur le moment. L’idée était bonne sur le papier. Mais, dans la réalité, l’exercice était délicat.

Je ne regrette pas ce stage. Il m’a appris plus que je ne l’imaginais. Surtout qu’il faut parfois savoir garder ses pensées pour soi.

Ironie du sort, aujourd’hui, quand je rentre dans une agence BNP, je vois des robots interactifs à taille humaine. Des écrans tactiles prennent désormais en charge ce qu’on nous demandait de faire.

J’ai vécu un grand remplacement technologique. Il n’était pas question que la technologie me dépasse à nouveau. Aujourd’hui, je suis freelance en marketing digital.

Paul, 27 ans, étudiant, Rueil-Malmaison

Crédit photo Pexels // CC cottonbro studio

 

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