Au vert pour décrocher de la drogue
La première fois, je me suis dit : « Une seule injection. Juste une seule fois ! » C’était chez un garçon qui pratiquait le « slam », la consommation de drogue par piqûre. Au début, j’étais pris par la peur. Ce n’était pas habituel de voir quelqu’un jouer avec une aiguille pour vous injecter je ne sais quelle merde.
La boîte avec les seringues et les lingettes désinfectantes, la coupelle, le tampon, le coton… Je me souviens de tous les détails. Il a pesé quelques cristaux. Il les a dissous. La sensation était terriblement délicieuse. Un genre de montée dans la gorge, qui nous fait faiblement tousser. Une sensation de chaleur qui monte dans tout le corps. Je venais de vivre mon premier rush à la 3-MMC (3-méthylméthcathinone). Cette foutue 3. J’avais 22 ans.
Le jour suivant, on a recommencé. Je me disais : « J’ai le contrôle » ; « J’abuse un peu mais ça va » ; « C’est le dernier. » Je me suis finalement retrouvé à me piquer un jour sur deux et à augmenter les doses.
Je me retrouvais régulièrement dans des soirées avec cinq, voire dix personnes qui consommaient ce produit. J’avais des contacts chez qui j’allais toutes les semaines pour consommer et avoir des rapports sexuels. Je pratiquais déjà le chemsex – des rapports sexuels en prenant des substances – depuis plusieurs semaines. Au final, je ne voyais même plus les gens pour les rapports mais pour consommer.
Cocktail explosif
Avant ça, j’étais habitué à prendre des drogues. Ma famille entière consomme du cannabis. Ma sœur était héroïnomane. En teuf ou en rave, je prenais des amphétamines, des taz, du LSD, des champis, de la kétamine et de la cocaïne. Quand j’ai commencé le chemsex, paradoxalement, je me suis calmé sur les autres substances. Sauf le shit ou la beuh. Je fumais tous les jours.
Le premier déclic, ça a été en décembre 2022. Je suis rentré en pleine nuit, complètement perché. Sans réfléchir, j’ai pris des billets de train pour quitter Tours et rentrer chez mon père, en Bretagne. Je voulais m’éloigner de ces gens, de ces produits qui ont fini par littéralement détruire mon corps. Je me pensais à l’abri à la maison. Le pire était à venir.
À mon retour chez mon père, je suis rentré en contact avec Jean-Michel, une connaissance. Malheureusement, cet homme d’une quarantaine d’années, qui ne prenait rien avant mon départ, était tombé dans la même drogue que moi. Alors, j’ai replongé.
J’ai dit à mon père que j’étais tombé là-dedans. Il ne m’a jamais empêché de sortir. C’est aussi à ce moment-là que j’ai commencé à avoir des soins infirmiers pour mes bras. J’ai une trentaine de brûlures chimiques provoquées par des injections ratées. Ces soins ne m’empêchaient pas de continuer à me slamer. J’essayais quand même de réduire ma consommation. Au départ, c’était un jour sur deux, puis une fois toutes les deux semaines, avec des doses plus faibles et moins de slam.
En réanimation puis en hôpital psychiatrique
Un jour, par accident, après une soirée, j’ai bu une grande quantité de GHB. Je croyais que c’était de l’eau. Je me vois boire, dire « oups », et m’effondrer dans le canapé. Ce sont les seuls souvenirs que je garde.
Je me suis réveillé à l’hôpital avec un tuyau dans la gorge. J’ai d’abord été en réanimation puis en hôpital psychiatrique. L’environnement était propice à un sevrage, mais les journées étaient très longues. Je me rappelle attendre chaque heure voire chaque minute. Encore une fois, je voulais arrêter complètement.
En sortant de l’hôpital psy, je suis revenu dans la petite commune où j’ai grandi. J’adore cet endroit, les odeurs, le calme et les étoiles. Mais très vite, je suis retourné voir mon ami pour reprendre quelque chose. Je l’ai avoué à ma mère. Elle a appelé la psychiatre à l’hôpital, qui lui a dit : « Il n’y a rien à faire malheureusement, c’est à lui de se dire stop. Il est normal qu’il ait des rechutes. C’est juste dommage que ça soit arrivé aussi tôt. »
Après ça, ma mère est passée par une phase très chiante, mais nécessaire. Elle fliquait toutes mes sorties. Elle avait même ma localisation. J’ai parfois trouvé des solutions pour me slamer quand même. Mon corps était en trop mauvais état à cause des piqûres. Surtout mes bras. J’ai eu deux abcès. Des phlébites aux mains. Un staphylocoque doré. Et j’ai aussi frôlé la septicémie. J’étais aussi déprimé. J’avais perdu goût à toute activité.
J’ai alors décidé de retourner à l’hôpital. J’y suis resté un mois et une semaine, dans une unité pour les jeunes. Cette hospitalisation s’est mieux passée que la précédente. J’ai décidé de me sevrer de toute consommation : piqûres, GHB, cannabis et tabac. J’ai installé une application pour aider au sevrage. On rentre la date de début et on s’engage tous les jours à ne pas consommer. Cela m’a aidé. Je voulais attendre le plus possible avant de reprendre. Ma dernière consommation date du 17 juillet 2024.
J’ai réfléchi à ce que j’allais faire après. J’étais terrorisé à l’idée de rentrer chez ma mère près de Rennes. Je savais que je chercherais à revoir mon ami. J’ai décidé de trouver un autre pied à terre. Je ne voyais qu’une seule personne susceptible de m’aider. Étienne. Il habite à Carhaix, une petite ville en Centre-Bretagne.
Il n’a pas hésité une seconde à me tendre la main. Il m’a écrit : « Mon vœu est que tu te portes mieux. Une convalescence dans un milieu serein est nécessaire. » J’ai fait les démarches pour être suivi au CSAPA, le Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie.
Le dur chemin du sevrage
Dans la voiture pour Carhaix, mon ami m’a dit : « Il faudra quand même faire attention, il y a des gens sur Carhaix qui prennent aussi… » Je l’ai coupé directement pour lui dire : « Je ne veux même pas savoir, je ne veux plus entendre parler une seule fois de ces produits. J’ai peur que d’y penser ne serait-ce qu’un instant me redonne envie. »
Je me suis senti un peu désorienté en arrivant. Carhaix, c’est un genre d’entre-deux entre la ville et la campagne. Je me suis demandé ce que j’allais bien pouvoir faire ici. Les deux premières semaines, j’ai surtout visité la ville. J’ai découvert le quartier du Petit-Carhaix, où j’adore lire. J’ai aussi visité le Vorgium, un musée archéologique. Mais je m’ennuyais quand même beaucoup, j’étais rattrapé par la dépression. Les semaines passaient lentement, très lentement. Je cogitais sur tout ce qui s’était passé.
Aujourd’hui, j’essaie de reprendre ma vie là où je l’ai laissée il y a deux ans. Reprendre mes études d’histoire. Viser une licence, puis un master, pour devenir enseignant. Passer le permis. Renouer le contact avec des personnes plus saines. Je suis à la mission locale pour faire le point et revoir du monde.
J’arrive maintenant à occuper mon temps avec mes anciennes activités. Je me suis remis à lire énormément, je me suis inscrit à la bibliothèque. Je vais à la piscine et j’ai appris à faire de la relaxation ainsi que de la méditation pour gérer mes angoisses.
Il arrive que j’aie des moments de vide où je repense à fumer, ou même à me piquer, mais ce sont des pensées très passagères. J’ai parfois le sentiment qu’elles seront toujours là. Je n’ose pas réinstaller l’application de rencontres Grindr, par peur de tomber sur des consommateurs. Pour être franc, j’ai du mal à envisager des relations car j’ai peur que les substances me manquent.
Aujourd’hui, je suis suivi. J’ai un traitement pour la dépression et des troubles graves de la personnalité. Tout cela a été très long à cause des délais. Ces produits m’ont détruit psychologiquement et physiquement mais ils n’ont pas réussi à détruire ma volonté de m’en sortir. Maintenant que je suis à Carhaix, je sais que même s’il y a encore de la route à faire, je suis enfin en voie de guérison.
Aaron, 24 ans, en recherche d’emploi, Carhaix
Crédit photo Pexels // CC Macx Converge
Qui contacter ?
Vous souffrez d’une dépendance à une drogue ? Vous avez des craintes pour un·e proche ?
Le site drogues-info-service.fr est à votre disposition pour répondre à vos questions. Vous pouvez joindre anonymement et gratuitement l’un·e des écoutant·es, tous les jours de 8 heures à 2 heures, au 0 800 23 13 13 ou par tchat.
Vous pouvez également vous adresser aux centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). Ces structures accompagnent les personnes dépendantes aux drogues. Elles proposent des consultations jeunes consommateurs, venant en aide aux jeunes de 12 à 25 ans et à leur entourage. Vous pouvez retrouver l’ensemble des établissements spécialisés près de chez vous sur le site de l’association Addictions France.
À lire aussi…
Ces joints qui vident la tête, par Mathis, 16 ans. Le jeune homme a glissé dans la drogue dès la cinquième. Son humeur a changé. Il s’est renfermé et même automutilé. S’il n’a pas encore réussi à arrêter, Mathis est fier d’avoir réduit sa consommation.