Ingrid K. 23/09/2018

Autiste, voilà ce que j’attends de la société

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Je suis autiste. Longtemps, j'ai eu honte de le dire. Aujourd'hui, j'espère bien me faire entendre, et j'attends beaucoup de la société.

Quand on est autiste en France, on vit sous le contrôle des autres, qui sont neurotypiques, qui affirment savoir ce qui est mieux pour nous, et s’arrogent le droit de prendre des décisions à notre place.

J’ai longtemps subi ce contrôle, mais je tente de me réapproprier mon existence. J’ai une marge de manœuvre importante. Je peux jouer un autre rôle que celui auquel on m’a assignée.

J’évolue dans un contexte favorable, ce qui est loin d’être le cas pour toutes les personnes autistes. D’abord, j’ai eu accès à la scolarisation et aux études, et je n’ai pas subi de thérapies qui m’ont causé des traumatismes durables. Ensuite, je suis entourée de personnes bienveillantes.

J’ai fini par comprendre que la maîtrise seule du langage n’était pas suffisante, qu’il fallait savoir se raconter. Je me suis mise à écrire. Je me suis intéressée à la communication. J’ai aussi voulu parler de mon autisme, mais de la bonne façon. J’ai commencé par dire à certaines personnes que je suis autiste. Je l’ai dit à des amies, en lesquelles j’ai vraiment confiance. Sur les réseaux sociaux, je relaie parfois des articles sur l’autisme : c’est une autre façon de m’exprimer.

Je n’ai plus honte de le dire à tout le monde

Aujourd’hui, je franchis cette nouvelle étape : j’écris que je suis autiste, dans un texte destiné à tous. Je n’ai plus honte de le dire à tout le monde. Je n’en ai plus peur non plus, parce qu’aujourd’hui, j’en suis absolument convaincue : les conséquences ne seront jamais aussi graves que celles de mon silence.

Alors je le dis haut et fort : je suis autiste, et rien ne changera cet état de fait. Je le crie à qui veut l’entendre : je suis autiste, irrémédiablement autiste, et fièrement autiste, rendez-vous compte, je n’ai même pas honte. Je le dirai aussi longtemps que je me suis tue, voire plus longtemps, parce que je me suis tue trop longtemps et il faut remédier à cela.

Aujourd’hui, je ne m’accommode plus de la chape de silence qui a failli me tuer.

Je ne veux plus être sur le qui-vive, dans la crainte perpétuelle que quelqu’un sache. Je ne veux plus jouer ce rôle qui m’a été assigné, qui me sied si mal et me fait tant de mal. Je n’ai plus le temps.

Je n’ai plus le temps de voir que je me délabre et me meurs, plus le temps de pleurer des journées, des nuits entières, de ma différence et mon incapacité à m’adapter. Je n’ai plus la force non plus.

Je n’ai plus la force de pleurer à n’en plus finir, de songer à en finir sans jamais finalement le faire, de replonger une énième fois dans la dépression, tenter une énième fois d’en sortir, sans jamais être sûre que cela aura une fin. J’ai aujourd’hui la force de sortir de ce tunnel, d’en sortir et de voir la lumière.

Je veux exister sans renoncer à mes aspérités

Je veux exister sans dissimuler, en tirant le meilleur de ma différence. J’estime que cela doit être possible dans une société ouverte, et la France a beaucoup de retard. Il conviendrait d’enfin le combler.

J’ai des qualités, je ne devrais pas avoir à le justifier pour vivre une existence digne, mais ici, en France, je suis obligée de le faire. Alors je me prête à ce jeu absurde.

On me dit souvent que j’ai de bonnes idées, que je suis capable d’approfondir un sujet, que j’ai le sens des responsabilités. Dans tous les cas, je constate qu’on ne s’intéresse qu’au résultat. Je vais donc l’expliquer, ce résultat, pour qu’il ait plus de sens.

Soyons clairs : l’éducation seule ne peut pas expliquer cela. L’intelligence non plus : je me situe dans la moyenne. C’est en grande partie à l’autisme que je dois ces qualités : cette neurodivergence affecte mon raisonnement, aussi bien de façon positive que négative.

Je parais si normale maintenant

On me demandera peut-être ce que je revendique, dans mon cas. Je parais normale, je ne suis pas perçue comme une autiste. C’est vrai, mais cela a-t-il toujours été le cas ? N’ai-je jamais été agressée sexuellement, parce que c’était facile de prendre du pouvoir sur une personne qui a des difficultés à interagir avec les autres, une personne qui a aussi des difficultés à verbaliser ?

D’ailleurs, savez-vous combien cela me coûte de paraître normale ? Je suis normale, mais cela engendre une fatigue psychologique.

Je suis normale, en ayant le sentiment que mes efforts ne suffisent pas. Je suis normale et lorsque je me retrouve en difficulté, on me reproche mon manque de volonté. Je suis normale au risque de nier ce que je suis. Je suis normale au risque de renoncer à demander de l’aide. Je suis normale à mes risques et périls.

Je suis normale, parce qu’autrement, je serais ramenée au rang de chose inerte. Je suis normale, pour me protéger, parce que l’anormalité est prise par certains comme prétexte pour violenter une personne.

J’aimerais que cette société cesse de déshumaniser

J’attends beaucoup de choses de cette société qui a exigé de moi que je m’adapte pour ne pas finir broyée.

J’aimerais qu’elle fasse enfin l’effort d’inclure les personnes autistes, non pas dans le cadre d’un plan de communication, mais de façon sincère.

J’aimerais qu’elle scolarise tous les enfants autistes, qu’elle arrête de dire que l’autisme se soigne, se vainc, qu’elle encourage à recruter plus de personnes autistes, qu’elle permette aux adultes autistes qui ne peuvent pas travailler de vivre avec des minima sociaux suffisants.

Le frère de Faema a dû attendre deux ans avant de pouvoir intégrer un lycée. Il s’est d’abord fait refouler à cause de son autisme.

Un jeune homme est assis sur un canapé à côté d'une jeune femme qui tient son ordi sur ses genoux. Ils regardent tous les deux l'écran. Derrière eux, on voit une lampe sur pied allumée.

J’aimerais qu’elle cesse de déshumaniser les personnes autistes à coups d’insultes, d’agressions, et de leur causer des traumatismes.

J’aimerais qu’elle cesse de véhiculer des clichés, qui n’ont d’autre effet que de rassurer les personnes neurotypiques sur leurs propres turpitudes, et d’humilier les personnes autistes.

Démesurées pour certains, ces attentes me paraissent plus que légitimes. Je ne reculerai sur rien.

Il fut un temps où je me taisais. Il est à présent révolu.

Ingrid, 22 ans, étudiante, Plaisir

Crédit Photo Flickr // CC Pedro Ribeiro Simões

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