Mon cerveau pète un câble
C’était un matin, un jeudi. J’avais deux heures de maths au lycée.
À 7h25, j’attends le bus à l’arrêt du centre-ville, comme tous les jours il est en retard. Je me suis réveillée avec un mal de crâne de malade. Une dame arrive. Elle a une jolie jupe noire je crois, mais je ne suis pas très sûre car mon mal de crâne a vraiment beaucoup beaucoup beaucoup augmenté. Mon champ de vision s’est rétréci, mais je ne m’inquiète pas trop. Je dois juste être un peu malade, c’est tout.
Mais, quand même, c’est stressant. Alors, je dis : « Bonjour, excusez-moi madame, je ne me sens pas trop bien et je stresse un peu. J’ai super mal à la tête et j’ai l’impression qu’il y a du noir dans mes yeux. »
Elle répond : « Ne vous inquiétez pas, vous avez déjeuné ce matin ?
– Heu non, pas le temps, j’ai cours de maths à 8h30, je me suis douchée et je suis partie.
– Bon bah vous faites sûrement une hypoglycémie, je vais vous acheter un pain au chocolat ! »
Je ne lui dis même pas merci, je me mets à pleurer sans savoir pourquoi ! Le bus arrive, je me lève mais je ne marche pas trop droit. Je vous promets que je n’avais pas bu ! Une fois montée, je m’installe au fond. Je ne sais pas pourquoi je pleure encore, je crois que je stresse trop là. J’appelle mon père, mais ça ne répond pas. Au bout de six appels, il comprend enfin que c’est important !
« Heu j’me sens pas trop bien, j’ai mal à la tête, tu peux venir stp ?
– Bah descends du bus, ta mère arrive. »
Je me lève, je ne tiens pas debout. Je ne sens plus trop mes jambes. Je veux descendre mais, je ne sais pas, je suis tombée. Heureusement, derrière moi, il y a un gentil monsieur assez musclé avec une espèce de cartable en cuir. Ce qui m’a le plus marquée, c’est ses lunettes ! Elles étaient super belles, dans mon souvenir. Il me rattrape ! Là, je ne sais plus vraiment la suite. Je suis allongée moitié dans le bus, moitié par terre, une femme est au-dessus de ma tête. Elle ressemble à ma prof de maths. NOOOON !!!! JE VAIS ÊTRE EN RETARD !
« Bonjour madame, je suis le médecin du SAMU, qu’est-ce qui se passe ?
– Je sais pas…. »
Le bail, c’est que je me suis endormie… J’entends juste : « Mais sa sat’ chute ! » La sat’, c’est la saturation, le taux d’oxygène dans le sang. Tout va plus vite ! Il y a énormément de lumière ! Ça éclate mes yeux ! Et là, plus rien ! Noir. La vie d’avant a fui quand le conducteur est parti.
L’AVC, un caillou dans mon cerveau
Pendant que je comatais paisiblement avec des tuyaux et des fils un peu partout, il y avait ces personnes autour de moi… Ma famille. Celle qui n’avait pas anticipé… Elles avaient mal… Pas mal comme quand on s’est cassé le bras ou la jambe… Mal comme si une personne se faisait arracher à eux. Elles restaient à mes côtés, elles ne savaient rien de ce qu’il se passait à l’intérieur de moi. Pour vous, pendant ces trois semaines, la vie est passée. Pour moi, c’était une petite seconde ! Une sieste. J’étais là. Assise sur ce banc. J’attendais mon bus.
Vous imaginez bien que l’on ne sort pas du coma comme d’une bonne sieste ! Ce ne serait pas drôle sinon ! Je pense avoir mis environ six mois à bien me réveiller. Six mois, pour certains, ça passe vite. Pour moi, c’était comme 10 000 ans ! Je suis restée alitée, attachée par un corset plein de fils, sans pouvoir parler. Je ne voyais pas grand-chose et je tremblais énormément du côté droit. Au début, je ne pensais qu’à mon cours de maths. Je l’ai expliqué en essayant d’écrire sur le carnet d’une aide-soignante ! C’était la GA-LÈRE, vous n’imaginez même pas ! Juste un stylo que je n’arrivais pas à tenir et une feuille pleine de lignes qui me donnait un mal de tête !
La soignante me demande : « Tu sais quel jour on est ? »
Dans ma tête, je hurlais !!! : « Jeudi, j’vous dis !! Elle pige rien ou quoi ?!?! J’ai cours là et j’veux pas rater ce cours parce qu’après, c’est le seul moment où je peux prendre un café ! »
Bien évidemment, j’avais déjà raté mon cours. J’avais déjà laissé mes potes dans cette classe… Le bus était parti sans moi… Voilà le résultat de ce que l’on croyait, au départ, n’être qu’une petite hypoglycémie… C’est presque devenu un gros mot. Un Accident Vasculaire Cérébral ! Ou, comme je préfère dire aux enfants qui me demandent, une sorte de caillou dans mon cerveau qui a grossi et pris tellement de place que mon cerveau a dit : « Heee c’est trop compliqué là ! Moi, j’fais une pause !!! »
Ce stop qui m’a mis dans une case
La première année, mes séances de kiné s’enchaînent. Je suis peut-être debout, mais si je lâche mon cher compagnon de déambulation… ET BAH JE M’ÉCRASE !!!!!!! Les soignants, si je devais décrire tout ce qu’ils ont fait pour moi, je mettrais sept ans ! Depuis octobre 2014, MERDE ! Et ce n’est pas fini !
Après cet accident, ces personnes sont restées près de moi quand ma famille ne pouvait pas… Je suis une « attachiante tête de mule », m’ont-ils tous dit avec un petit sourire en coin.
Toutes ces femmes et tous ces hommes qui sont restés à mes côtés quand j’étais seule. Quand j’avais peur. Quand j’étais heureuse ou que j’essuyais des défaites, des victoires, que je devenais folle à cause des Biiiiiiipppppp. Biiiiiiipppppp. Biiiiiiipppppp… incessants des machines.
Pour vous dire ma vérité, j’ai recommencé une vie. Je suis passée par un chemin que tout le monde n’arpente pas. Il est comme une spirale… On tourne sans fin ! Pour moi, vous êtes tous en train de vous amuser, d’apprendre, DE VIVRE !!! Moi… je suis dans ce cauchemar interminable, je travaille d’arrache-pied pour réaliser l’irréalisable : être comme vous ! Redevenir comme avant… Mais c’est impossible ! Ça m’a changée, ce stop qui m’a mise dans une case, une classe, un stéréotype !!! On m’a classée dans le monde de ceux que l’on veut assister !
Le soir où Amina s’est gravement brûlée, sa vie a basculé. Plusieurs interventions et une tête rasée plus tard, elle commence à aller mieux.
Mais je ne veux pas être assistée ! Je veux juste, le plus souvent, FAIRE AVEC VOUS ! Et non pas que vous le fassiez pour moi !!! Je voudrais être comme vous ! Insouciante face à des situations « normales », de la vie quotidienne. Quand je me couche, je veux arrêter de me dire, en boucle : réveil, douche, médocs, café, p’tit déj, programme, trajet, questions à poser, rdv médicaux, semaines à venir, rdv médicaux à programmer, vaisselle, NE PAS OUBLIER LES COURSES !!!!! Et j’en passe…
Je voudrais aussi arrêter de me réveiller sans cesse dans la nuit. Quand je dors, je cauchemarde… Je vois plein de trucs, c’est horrible… Je ne veux pas me demander quand je sors si des personnes n’auront pas peur. J’ai l’impression qu’elles se disent : « Quand elle marche, on dirait qu’elle est bourrée ! » Ou pire encore, qu’elles pensent : « Mais qu’elle est conne ! », juste parce que j’ai des difficultés ! Je ne veux pas avoir peur des gens. Je voudrais redevenir comme vous.
Maellou, 22 ans, volontaire en service civique, Évry-Courcouronnes
Crédit photo Pexels // CC Anna Shvets
@mon.petit.avc
Voir cette publication sur InstagramMargot avait seulement 33 ans quand elle a été victime d’un AVC. Sur son compte Insta, elle partage des dessins qui retracent son chemin depuis l’accident, informent sur l’AVC et ses conséquences. Elle a aussi publié une BD sur le même sujet.
Alors que le sujet peut faire peur, @mon.petit.avc est suivi par 35 000 personnes aujourd’hui !