Baignade interdite pour les enfants roms
Dans les bidonvilles, on reconnaît facilement la saison dans laquelle on se trouve. En été, dès les premières chaleurs de juin, l’odeur qui émane des poubelles est très forte.
En tant que volontaire en service civique, j’accompagne les enfants roms dans leur scolarité : inscription à l’école, vaccination, aide au devoir, etc.
Il nous arrive aussi de faire des ateliers de cirque, de danse, d’acrobaties. On essaye toujours d’innover pour que cela soit ludique pour eux.
A l’occasion des sorties, on les sent vraiment heureux d’être juste des enfants. Car quand ils sont « à la maison », ils ont de réelles responsabilités : garder leurs frères et sœurs quand les parents sont absents, faire la manche, aller fouiller dans les poubelles… Donc ça leur fait du bien d’être en dehors de leur quotidien.
A la piscine comme à Disneyland
Au mois de juin, j’ai décidé de les emmener à la piscine. La plupart n’y étaient jamais allé. Leurs professeurs et leurs camarades de classe leur en avaient parlé, donc ils nous le demandaient sans arrêt.
Comme ils ont difficilement accès à l’eau potable dans les bidonvilles, le lien qu’ils ont avec l’eau est assez particulier.
Dès qu’ils voient une source, ils peuvent y rester des heures à boire et à jouer avec. Alors forcément, pour eux, la piscine c’est « Disneyland ».
J’ai donc été chercher des financements auprès d’autres associations, comme Asset 93. J’ai prévu les maillots de bain, les goûters et réuni des accompagnateurs. Les collègues du service civique et les volontaires de la Voix des Roms étaient ravis de nous accompagner.
Bien sûr, j’ai aussi appelé la piscine pour connaître les démarches à suivre afin d’accompagner une vingtaine d’enfants. Une jeune femme a transféré l’appel à son responsable qui m’a assurée qu’il n’y avait pas de problème, car nous étions dans une période creuse de fréquentation.
Sécurité : « Vous êtes qui vous ?! »
Finalement, le jour J est arrivé. C’était un mercredi, le jour où justement ils n’ont pas école. C’est fait exprès pour les encourager à aller en classe les autres jours de la semaine.
Nous avons marché 45 minutes entre le bidonville situé à l’arrêt de bus Acacia, à Montreuil, et la piscine qui se trouvait à la station de métro Croix de Chavaux. Pendant le trajet, les enfants étaient très impatients et très excités.
En arrivant, tous se sont collés naturellement devant la vitre de la piscine avec des étoiles dans les yeux.
Les personnes de la sécurité se sont alors brutalement mises face à nous, bras croisés avec un regard accusateur qui semblait dire : « Vous êtes qui vous ? On n’attend pas de groupe aujourd’hui. » J’ai vécu durement cette prise d’autorité. J’ai eu beau leur expliquer que l’on avait prévenu, que la visite était prévue, ils n’ont jamais cessé de nier en bloc… avec un petit sourire.
On pouvait sentir de loin la haine qui émanait d’eux. Tous les accompagnateurs ont tenté de les raisonner, même ma responsable, Lucie, qui était présente ce jour-là – et qui a pourtant l’habitude de ce genre de situations. Au bout de 20 minutes, nous avons décidé de partir.
Avant de quitter la piscine, un collègue Rom de l’association la Voix des Roms a fait une faute de français… et on a entendu rigoler derrière lui.
Accompagnateurs choqués, enfants… habitués
Ce qui m’a le plus surprise, c’est la réaction des enfants.
Les accompagnateurs étaient choqués, tristes et dégoûtés, mais les enfants, eux, avaient tellement l’habitude qu’on leur refuse les choses qu’ils désirent, qu’ils ont juste accepté leur sort.
Je pense qu’ils ont compris ce qui c’était passé. Ils nous ont juste demandé si on y retournerait un jour. Nous avons tout de suite réfléchi à un autre moyen de les occuper et de les amuser pour qu’ils ne gardent pas sur un mauvais souvenir de cette journée.
Heureusement, le cinéma indépendant du coin (le George Méliès) a accepté de nous faire un prix de groupe après qu’on leur a expliqué la situation.
Les enfants ont donc pu voir un dessin animé – en français, ça c’est un autre problème – mais finalement, ils étaient contents.
Faire évoluer les mentalités… pas gagné
Ce qui s’est passé devant cette piscine est une chose qui arrive fréquemment quand on travaille avec des Roms.
J’ai de nombreux exemples de collègues Roms qui se font arrêter quotidiennement par la police.
Dans le bus ou le métro, on nous fait souvent des remarques déplacées lorsque nous sommes avec les enfants.
Et tout le monde s’en contente. C’est une population tellement dénigrée, et notamment dans les médias, que ce genre de situation est devenue presque « normale ». Bien sûr, on essaye de faire évoluer les mentalités, mais ces idées sont tellement ancrées dans la tête des gens, qu’il est difficile de laisser la parole à cette minorité.
C’est dans ces moments-là que je me rends compte de l’importance de mon service civique. Nous construisons un pont entre « leur monde » et le nôtre, entre le monde de la précarité, du racisme, de la débrouille et celui d’un enfant « normal ».
Je pense qu’il est très important de changer le regard que les Roms ont sur eux-mêmes. Qu’ils arrêtent de se voir comme un peuple inférieur, qu’ils aient connaissance de leurs droits en tant qu’européens et avant tout en tant qu’êtres humains.
Lou Daza, 26 ans, volontaire en service civique, Epinay-sur-Seine
C’est si triste de voir de voir ce manque d’humanité et d’y assister de façon impuissante.
L’injustice est si grande qu’elle force les enfants roms à la résignation ; elle est si grande qu’on ne la voit plus, qu’on ne l’appelle plus par son nom et qu’on n’inquiète jamais ceux-là mêmes qui en sont responsables. Mais en écrivant cet article, tu as mis les mots sur cette injustice, telle qu’elle est vécue au quotidien, tu as pointé du doigt le comportement de la sécurité qui agit en toute impunité. En écrivant cet article, en t’engageant comme tu le fais, tu redonnes à ces enfants roms la dignité qu’ils méritent. Cette dignité leur est toujours refusée alors que tout être humain y a droit. Si seulement l’ensemble de la population, l’administration et nos responsables politiques pouvaient comprendre cela… et se libérer définitivement de ses préjugés.