Ermal G. 07/06/2024

Bosser dans le BTP : un sport comme un autre

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Le père d’Ermal travaille dans le bâtiment. Son activité professionnelle exige une condition de sportif, comme l’a découvert son fils en l'accompagnant sur un chantier.

Quand tu travailles dans le bâtiment, il n’y a pas besoin d’aller à la salle de sport. On se muscle au travail. Mon père est ouvrier dans le bâtiment. Il fait la peinture, l’électricité, le carrelage et il rénove la façade. Physiquement, il est musclé. Ses 80 kilos, ce sont 80 kilos de muscles. Il a des mains comme des pattes d’ours. Elles sont puissantes et gainées. Il a 43 ans et fait ce métier depuis qu’il a 14 ans. On pourrait penser qu’il se muscle comme un super héros, mais loin de là. Il se fatigue pour nourrir notre famille. En ce moment, il se lève à 6 heures du matin pour aller au travail. Parfois, il se lève à 4 heures. Il finit à 20 heures. Il a une heure de pause le midi. Il travaille tous les jours de la semaine à soulever des poids de gravats, des seaux remplis de peinture ou de ciment. Il travaille son équilibre en marchant sur les planches pas fixes en hauteur ou quand il est sur les toits. Heureusement qu’il n’a pas le vertige !

Je ne peux pas suivre. Je l’ai accompagné lors d’un chantier pour découvrir le métier d’ouvrier du bâtiment et toutes ses difficultés. Il fallait rénover une maison de campagne. J’ai dû abattre certaines cloisons à l’intérieur, ramasser les gravats et les stocker sur des piles dans le jardin. Je n’avais pas la technique pour ne pas me blesser. Je ne gardais pas le dos droit. Puis, j’ai fait l’erreur d’enlever mes gants car j’avais trop chaud aux mains, et je me suis fait mal en prenant des briques. J’étais en sueur et je sentais mes muscles se crisper et se tendre. C’était hyper fatigant. J’ai fait du sport sans payer une séance à la salle !

Je me suis rendu compte qu’il fallait avoir une sacrée condition physique et mentale et que j’en manquais. Il aurait fallu faire un échauffement avant de commencer à travailler. Préparer les poignets, les bras, le dos aussi et les épaules. Mon père ne s’échauffe pas. Il est trop speed. C’est peut-être pour ça qu’en rentrant, il ne se sent pas bien. Qu’il a des douleurs chroniques : mal de dos (souvent, il essaie de se craquer le dos ou de s’étirer), douleurs au niveau des bras parce qu’ils portent des gravats et des pierres lourdes.

« Mon père s’est fait les ligaments croisés »

Il ne se plaint pas souvent. Il est plutôt discret sur ses douleurs, mais il me met en garde : « C’est pas un métier facile. Tu tombes ou il t’arrives quelque chose et tu peux plus exercer le métier, en une fraction de seconde. C’est mieux d’aller à l’école et d’apprendre le commerce au lieu de se casser comme moi. » En ce moment, il est arrêté depuis mars 2023. Il a eu un accident du travail. Il s’est fait les ligaments croisés. La vraie blessure du sportif. Il était sur un escabeau et le faux plafond est tombé. Soit il restait et il mourait, soit il sautait de l’escabeau. C’est lui qui a appelé l’ambulance. Le patron s’en foutait. Ce n’est clairement pas un bon coach le patron. Mon père a essayé de remettre son genou tout seul.

Dans le bâtiment, il y a toujours un effet de surprise. Tu ne sais pas comment va être le chantier, ni comment ta journée va se passer. C’est un peu comme un match de basket : tu ne sais pas si ça va durer longtemps ou finir vite. Si tu seras dans une bonne équipe ou pas. Sur quel terrain. Qui avancera le plus vite. Si tu vas rater une action. Il faut être en bonne santé physiquement, être sportif. Si tu es tout fin comme une brindille, tu ne pourras jamais avancer dans ce métier. Il faut avoir de la force.

L’âge parfait pour faire ce métier, selon moi, c’est 20 ans. À 20 ans, on a beaucoup d’énergie et normalement on n’a pas de problèmes de santé. On débute dans la profession. On n’est pas usé par ce métier. De cette profession, je pense m’en écarter. Je préfère me remettre au sport classique.

Ermal, 17 ans, lycéen, Bezons

Crédit photo Hans Lucas // © Jean-François Fort – Des ouvriers du BTP travaillent sur le chantier d’extension du Parc du Futuroscope, le 31 octobre 2023.

 

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« Du chantier à la salle de muscu », de Maxence, de 18 ans, en alternance dans le BTP. Il porte des climatiseurs toute la journée. Pour tenir le rythme et ne pas se blesser, il fréquente une salle de musculation.

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