Lucile M. 26/11/2020

Mobilisations étudiantes : gazés pour une AG

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La loi pour la programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) me rappelle cette journée où les CRS nous ont gazés et maltraités, en pleine AG.

L’amendement 147 de la LPPR interdit « le fait de pénétrer ou de se maintenir  dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité (…) dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement » sous peine d’amende. Les occupants risquent un an d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende, mais aussi des interventions musclées des forces de l’ordre comme celle qui s’est déroulée à l’université Paris Nanterre le 9 avril 2018.

Comme tous les jours, j’arrive à la fac avec ma pote pour aller en cours. On sort du RER et la première chose qu’on voit c’est une rangée de CRS entourant le bâtiment E. Face à eux, une centaine d’étudiants ainsi que quelques professeurs venus voir ce qu’il se passait. On nous explique que le doyen de la fac a fermé tous les bâtiments et a appelé les CRS parce que des étudiants occupent le bâtiment E depuis ce matin. Quelques instants après, je vois une vingtaine d’étudiants sur le toit, visages cachés et pancartes à la main.

L’ambiance est bon enfant : d’un côté les militants étudiants qui chantent et de l’autre côté, nous qui les observons, amusés. Les CRS, eux, face à nous, ne bougent pas. Je me souviens en avoir vu un sortir son téléphone pour prendre nos têtes en vidéo. Ça a un peu tendu la situation. En même temps, c’est flippant un CRS qui prend ta tête en vidéo. Il va en faire quoi ? Tous nous ficher ?

Les CRS nous ont fait rentrer pour pouvoir nous encercler

Je ne sais pas exactement combien de temps on est restés là mais, au bout d’un moment, les CRS sont partis et les portes du bâtiment ont été ouvertes. Tout le monde est rentré à l’intérieur. Les professeurs sont allés dans l’amphithéâtre E2 pour faire une AG. Les militants étudiants, eux, sont rentrés dans la salle E01, juste à côté. Ils nous ont proposé d’assister à leur AG pour qu’on puisse comprendre leurs revendications. Avec ma pote et d’autres étudiants, on décide donc de rentrer dans cette salle. Vu ce qu’il s’y est passé, j’aurais préféré ne jamais avoir mis un seul pied là-dedans.

On s’est tous assis par terre pour écouter un étudiant nous expliquer la loi Vidal. Même pas cinq minutes après, on voit des CRS se poster derrière les fenêtres pour pas qu’on prenne la fuite, et d’autres arriver par la porte. Aucun moyen de sortir de cette salle. Les CRS nous disent qu’on sortira seulement après qu’ils aient relevé l’identité de chacun. Bien sûr tout le monde dit non. Pendant au moins une heure, on est restés comme ça, avec ce dialogue de sourds. Je commence à en avoir marre et puis je stresse parce que j’ai un baby-sitting, donc faut vraiment que je sorte de là.

Ma pote et moi on se dirige vers une des fenêtres pour aller fumer une clope. On tente une évasion par la fenêtre mais les CRS qui sont derrière ne veulent pas nous laisser sortir. On s’allume une deuxième clope mais on n’a même pas le temps de tirer dessus qu’on entend des cris derrière nous. Je me retourne et je vois les CRS qui se mettent à tirer les étudiants pour les faire sortir un par un de la salle. Ils n’étaient clairement plus dans le dialogue là. Ils avaient activé leur mode violence. On voit une fille se faire tirer par les cheveux. Je ne comprends rien. Je n’avais jamais vu ça.

Les mains en l’air, comme une délinquante

Ma pote panique et crie aux CRS qui sont derrière la fenêtre : « Mais putain vous êtes censés nous protéger non ? » Là, il y en a un qui répond : « Nous on est les casques jaunes, eux c’est les casques bleus. » Et il se met à ricaner. Les cris continuent, les ricanements des CRS aussi. J’imagine que ça doit être drôle de voir des étudiants apeurés.

Je ne sais pas où me mettre. Les étudiants s’étaient tous regroupés pour se protéger les uns les autres. Je me mets derrière eux mais il y a un mouvement de foule et je me prends la table derrière moi. Puis là, j’ai la gorge qui pique et les yeux qui pleurent. J’ai du mal à respirer. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive. Je panique. Ma pote me rassure en me disant que ce sont juste les gaz lacrymogènes. Je commence à en avoir marre. Je gueule : « Laissez-moi sortir, je veux sortir. »

Politis a récupéré une vidéo de cette journée, filmée par un.e étudiant.e. Petit aperçu de la violence des forces de l’ordre.

 

Je pousse les étudiants devant moi et j’arrive vers un CRS qui m’attrape pour me diriger vers la sortie. Je mets les mains en l’air comme une délinquante. Une fois dehors, je fonds en larmes. Autour de moi, d’autres étudiants pleurent ou essaient de les réconforter. Les professeurs, eux, sont choqués d’avoir vu leurs étudiants sortis un à un avec une telle violence.

L’intervention des CRS aura au moins eu un effet positif : l’amplification de la mobilisation

Je me rends compte que j’ai laissé ma pote toute seule à l’intérieur. Je l’attends en espérant qu’elle ne se fasse pas traîner par terre comme un sac de merde, comme certains ont pu l’être. Quand je la vois arriver, elle me prend dans ses bras. On est tellement heureuses d’être enfin sorties de là. Ok, on n’a pas vécu la guerre. Mais on a eu peur, vraiment peur.

Le soir, quand je suis allée sur les réseaux sociaux, j’ai été dégoûtée de la réaction des gens. Des « bien fait pour eux » ou des smileys qui rigolent. Comment peut-on se réjouir de ça ? Peu importe son bord politique, pour moi personne ne devrait approuver la violence qu’il y a eu dans cette salle. On n’avait absolument rien fait. On était plusieurs dizaines à être venus juste par curiosité sans faire partie d’aucun syndicat et on n’avait jamais participé à une mobilisation.

Heureusement qu’il existe d’autres manières de lutter ! Philoé et Clémentine n’ont pas attendues leur majorité pour créer une boîte à règles dans leur lycée.

En tout cas, dès le lendemain, j’étais dans les premières à l’AG pour dénoncer ce qu’il venait de se passer. Avant le 9 avril 2018, les AG étudiantes de Nanterre ne regroupaient qu’une cinquantaine de personnes. Après le 9 avril 2018, elles en ont regroupé plus de mille. On dit merci aux CRS et au doyen de la fac pour avoir réussi à amplifier un mouvement qu’ils voulaient faire taire.

 

Lucile, 21 ans, étudiante, Nanterre

Crédit photo Unsplash // CC Ev

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