Youlia C. 26/03/2025

Des superstitions, une identité réunionnaise

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Croyances et coutumes hindoues font parties du quotidien de Youlia. À La Réunion, la jeune femme perpétue ces rituels hérités de ses ancêtres.

Ici, on grandit tous avec les superstitions des « gramounes », c’est-à-dire des personnes âgées ou des grands-parents. Ces croyances sont dans ma famille depuis plusieurs générations. Par exemple, après minuit, on passe le pas de la porte à l’envers pour laisser derrière nous les esprits qui nous ont suivis. Le soir, on évite de marcher dans des endroits boisés, on préfère les sentiers découverts. Au mois de novembre, et seulement ce mois-là, on ne rentre jamais après 18 heures. Parce que ce mois est considéré comme « porteur de malheur ».

Lorsqu’on enfile nos vêtements à l’envers, c’est qu’on a « peur du diable » : certaines personnes le font au mois de novembre pour éloigner le mal. Pour protéger les bébés, les parents dessinent un point noir entre leurs sourcils – ça n’a rien de religieux. Et lorsqu’ils ont le hoquet, on leur met un bout de papier sur le front pour le faire partir plus vite. Ma maman me répète sans cesse de ramasser mes cheveux. Et il ne faut surtout pas les jeter dans la rue, de peur que quelqu’un les utilise avec de mauvaises intentions, comme jeter un sort.

Porte-malheur ou porte-bonheur

Dans l’hindouisme, à La Réunion, nous déposons des offrandes à nos bons dieux, dans une vanne, c’est-à-dire un récipient qui sert habituellement à trier le riz ou les épices, par exemple, ou sur un plateau, en bas des rivières, dans les routes croisées. Mais attention ! Certains utilisent cette méthode pour donner le mal à des personnes. C’est pourquoi, le soir, on ne passe pas dans les croisés des routes, mais par les ronds-points. On ne sait jamais si quelqu’un a déjà posé une vanne ou pas.

À la maison, les couverts ne sont jamais disposés en croix. Apparemment, ça porte malheur. Les parapluies sont ouverts seulement à l’extérieur. On ne lèche pas les couteaux. On ne doit pas se tenir sur les genoux, car on prie dans cette position. Si on le fait dans une autre circonstance, ça porte encore malheur. On ne se tient pas devant la porte d’entrée parce que ça empêche l’argent d’entrer dans la maison. On ramasse les « bébêtes l’argent » : des insectes qui ressemblent à de gros scarabées argentés et qu’on trouve souvent près des arbres fruitiers, comme les pieds de letchis ou de mangues. Comme leur nom l’indique, ça attire l’argent et ça porte bonheur à celui qui les attrape.

J’ai été élevée avec ces superstitions, qui perdurent dans ma famille. Lorsque j’étais enfant, mes grands-parents me racontaient des légendes effrayantes pour que je n’aille pas contre. Aujourd’hui, je les respecte. Lorsque j’aurai des enfants, je leur transmettrai ces croyances pour qu’ils les transmettent à leur tour à leurs enfants. Ces superstitions font partie de mon identité réunionnaise.

Youlia, 16 ans, lycéenne, La Réunion 

Crédit photo Pexels // CC Yan Krukau

 

« Nous ne sommes jamais dans les livres », autoportrait de la France des outre-mer

Ce récit est extrait de notre livre Nous ne sommes jamais dans les livres – Autoportrait de la France des outre-mer, à paraître le 27 mars 2025 aux éditions Les Petits matins.

Au cours de l’année 2024, les journalistes de la ZEP ont arpenté les cinq départements ultramarins pour accompagner 600 de leurs habitant·es à raconter leurs territoires, leurs façons d’y vivre, d’y étudier, de s’y déplacer, d’y faire racine ou de s’en éloigner.

160 récits individuels qui dressent par petites touches un récit choral de cette France qui n’est pas en Europe.

 

banderole orange horizontale avec quatre fois la couverture du nouveau livre de la zep aux éditions Les Petits matins "Nous ne sommes jamais dans les livres". Au centre de la banderole, on peut lire : disponible en librairie le 27 mars.

 

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