Fatou N. 30/10/2023

Deux mois au rythme d’Amazon

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Plus d’une personne sur deux travaillant pour Amazon considère que le système de surveillance de l’entreprise a un impact négatif sur sa santé. À 19 ans, Fatou y a connu la géolocalisation permanente, les pauses déj’ trop courtes et les semaines sans week-end.

Le recruteur va droit au but : « Vous aurez un chariot, vous livrerez en fonction des points indiqués sur vos applications. Une bonne livraison faite à l’heure sans réclamation, c’est une prime. Les horaires sont de 10 heures à 18 heures. Si vous avez fini avant, vous êtes libres, sauf si on vous demande de backup. » Le backup, c’est une façon de dire qu’on doit aller aider un collègue à terminer ses colis. L’entretien dure 30 minutes. On le fait à quatre. Je pensais qu’on allait faire les entretiens un par un, mais non. Il ne nous demande rien. Ni CV, ni lettre de motivation. C’est simple, il nous explique juste le job.

Une semaine plus tard, je commence. Je reçois l’adresse du premier rendez-vous sur WhatsApp : 11 heures sur le terrain, avenue Carnot, Paris 16e. Je suis contente, je vais pouvoir dormir tranquillement ! Le lendemain, j’arrive à la station Charles de Gaulle – Étoile. Je rencontre mon chef d’équipe, qui arrive en retard d’une heure ! Les chefs d’équipe n’aiment pas trop avoir une nouvelle. On est plus lente donc on est un fardeau pour eux. À cause de nous, ils risquent de finir plus tard.

Livrer vite… mais pas trop

Il me donne mon matériel de travail : un badge Vigik pour entrer dans les immeubles, une batterie de secours pour mon téléphone et un trousseau de clés qui me permet d’accéder à un maximum de boîtes aux lettres. Il me précise que si je perds mon matériel, je dois rembourser.

Ensuite, petite séance d’assemblage. Il faut que je fabrique mon charriot qui arrive en pièces détachées. Deux grandes roues à clipser, une barre pour pousser le chariot et une bâche accrochée à tout ça. Le matériel est aussi fatigué que le personnel.

Les Champs-Élysées sont au coin de la rue. Me voilà partie sur les trottoirs de la plus belle avenue du monde… ou presque. C’est une application GPS, appelée « Amazon Flex », qui me donne les indications. Je l’utilise en mode silencieux parce que la voix m’énerve. Mes collègues voient le nombre de colis sur l’application. On se suit les uns les autres. Pour cette première journée, j’ai 80 colis à livrer. Il faut tous les faire mais pas trop vite non plus, parce que si tu livres trop rapidement, ils te surchargent le lendemain. C’est un cercle vicieux. Livrer vite pour pas traîner, mais pas trop pour ne pas en avoir plus le lendemain.

Une demi-heure pour déjeuner

Ma première adresse est avenue Foch. On dirait un palais royal ! Le sol brille tellement qu’on peut voir apparaître son reflet par terre. C’est si beau et si propre que tu as peur de faire tache. Au fond, j’aperçois un jardin entretenu à la perfection. Mais qui sont les gens qui peuvent habiter là ? Que font-ils comme métiers ? Combien coûtent les loyers ? Combien de personnes travaillent ici pour que tout soit aussi nickel ?

Je donne le colis à la gardienne et prend une petite photo car les petits malins du 16e aiment aussi faire des réclamations « colis non livré » pour avoir un remboursement. À la fin de mes deux mois, j’ai 1 300 photos de colis dans ma galerie. Un mois après la fin de mon contrat, je suis toujours en train de les supprimer.

Ma pause déjeuner dure 30 minutes et je dois garder mon charriot avec moi. Ici, pas de Aldi, ni de Lidl. Que des petits Franprix où les sandwichs coûtent minimum 4 euros. Dans les boulangeries, c’est le triple. Il n’y a pas de kebab ou quoi. Et quand bien même, je n’aurais jamais eu le temps. Je sors de la résidence. Finalement, je n’ai pas faim. Une boisson fera l’affaire. Je m’assois sur un banc avec vue sur les belles voitures de luxe garées juste en face. Et je finis les 20 minutes qui me restent.

Mon taf, du lundi au dimanche

Je n’ai pas de week-end. Je reçois une liste chaque soir, à 22 heures, sur un groupe WhatsApp. S’il y a mon nom dessus je travaille le lendemain, et s’il n’y est pas je suis en repos. Impossible de programmer à l’avance un rendez-vous avec un médecin ou une copine, ni même une sortie banale. Et les semaines vont du lundi jusqu’au… dimanche.

Finalement, je décide d’arrêter. Il y a un mois de préavis. Cette filiale m’a joué trop de mauvais tours mais cette fois-ci, j’ai un coup d’avance. J’envoie ma lettre de démission, ils me harcèlent d’appels : « Tu ne peux pas partir comme ça. Si tu pars pour reprendre l’école, tu dois envoyer un justificatif. »

Olivia travaille tous les étés dans le même fast-food : un job qui lui permet de financer ses études, en calculant tout au centime près.

Deux femmes se prélassent sur une plage après un travail bien mérité. Illustration colorée.

Tous les moyens sont bons pour me garder mais, pour moi, c’est non négociable. J’envoie un arrêt maladie d’un mois qui couvre mon préavis, en signifiant que si je veux reprendre l’école ou même travailler autre part, c’est mon droit. Je n’ai pas de réponse.

J’ai fait ce job pendant deux mois et j’ai réussi à mettre presque 3 000 euros de côté. Il faut dire que je n’avais pas beaucoup de temps pour dépenser. Depuis, j’ai en partie dépensé cet argent… chez Amazon.

Fatou, 19 ans, en recherche de formation, Paris

Crédit photo Unsplash // CC Tima Miroshnichenko

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