Soignante en Ehpad, la deuxième vague va nous faire couler
Voilà trois matinées d’affilée que je travaille, le week-end arrive, enfin… Lorsque je rentre chez moi, il faut que j’évacue. Je craque. Je craque complètement. Je me suis mise à pleurer sans pouvoir m’arrêter. Je revois les soins que j’ai effectués ces trois derniers jours en Ehpad et je me prends un mur… Ce n’était pas des soins. Ce n’était pas de l’accompagnement de qualité. Alors je cherche, encore et encore, pour trouver une solution, pour retrouver une qualité de vie pour mes patients mais également pour moi.
Je suis ASH (agent de service hospitalier) faisant fonction d’aide-soignante depuis quatre ans et trois mois. J’ai commencé ce métier tout de suite après avoir eu mon bac. J’ai toujours travaillé dans un petit centre hospitalier en campagne comptant plusieurs services et pouvant accueillir 160 patients. Pour moi, c’est un métier enrichissant qui ne laisse aucune place à la routine. Il est mon bonheur au quotidien. Le sentiment de satisfaction après avoir aidé, accompagné, soutenu un patient ou un résident, c’est le sentiment que je veux ressentir pendant toute ma carrière. Or, depuis la pandémie due à la Covid-19, ce sentiment laisse place à de la frustration, de la colère…
Dans mon Ehpad, une infirmière pour 66 patients
Dans le service où j’exerce, nous comptons 33 lits. Et 18 patients sur 33 ont contracté la Covid-19. Et ce n’est pas fini, on attend les résultats de tests PCR pour des cas en suspicion. Pour 33 patients, nous sommes seulement trois aide-soignantes les matins et deux les après-midis. Ma collègue infirmière est seule pour assurer sur deux étages (66 patients). Il y a clairement un manque de personnel.
Signés mi-juillet, les accords du Ségur de la Santé prévoyaient des mesures pour transformer le système de santé. Pourtant, l’Ordre National des Infirmiers affirme que 57 % des 60 000 interrogé.e.s sont toujours en burn-out à cause du manque de moyens dont ils et elles disposent pour affronter la crise sanitaire. Un reportage« C dans l’air » :
Les soins que l’on doit réaliser, ce ne sont plus des soins… mais du travail à la chaîne. Entre les précautions pour éviter la propagation du virus (tablier, charlotte, lunettes de protection, masque FFP2, gants…) et le protocole d’équipement dans un certain ordre entre chaque patient, la perte de temps est incalculable. Ce sont des précautions vitales pour l’état de santé de nos résidents. On ne peut pas se permettre de ne pas les protéger et de ne pas se protéger ! Mais même avec tout ça… nous sommes touchés par le virus : les arrêts maladie se cumulent, au moins trois chaque semaine… Alors on nous demande de revenir sur nos jours de repos et les heures supplémentaires augmentent. On pense que certains malades atteints par la Covid-19 ont été contaminés par nous, soignants. Ils sont grabataires, alités, il n’y a que nous qui rentrons dans les chambres.
On a déjà eu dix décès dus à la Covid-19. C’est dur pour nous parce que, les patients, on les connaît, on les suit depuis des années. L’autre jour, une grand-mère souffrait beaucoup, ça sentait la fin, on l’a mise sous morphine pour l’apaiser, mais ça se voyait qu’elle avait peur de la mort. On n’avait pas le temps de l’accompagner… et sa famille ne pouvait pas venir à cause du virus.
On a une conscience professionnelle, ce sont les vies de VOS parents
Entre nous, soignants, nos pauses repas ne sont plus les mêmes (enfin, quand on a le temps de se poser). On ne se pose plus tous en même temps, les locaux ne sont pas adaptés. Un soir, je rentrais chez moi après le boulot. Une fois la douche effectuée pour éliminer les risques de ramener le virus à la maison, j’ai réalisé que je n’avais pas pris le temps de boire ne serait-ce qu’une gorgée d’eau ou d’aller aux toilettes une seule fois dans ma journée.
Quelles sont les conséquences psychologiques de cette pandémie et comment les prendre en charge ? L’émission « Le temps du débat » sur France Culture a tenté de répondre à ces questions.
On est très nombreux à avoir craqué chez nous, ou même devant nos patients. Les soirs, en temps normal, nous finissons à 21 h 30. Hier, une collègue infirmière est partie à 23 h 45… Beaucoup diraient « elle n’avait qu’à partir », mais nous avons une conscience professionnelle. Je pense à mes collègues qui reviennent le lendemain, je fais mon maximum pour « limiter les dégâts ». Nous ne pouvons pas nous permettre de partir en n’ayant fait que la moitié de notre travail. Ce sont des vies, les vies de VOS parents peut-être… et si les soins sont faits à moitié, quelles seront les conséquences ? Des complications sur leur santé ? La mort ? On ne peut pas se permettre de prendre un tel risque.
Pour ne rien arranger, juste avant la deuxième vague, nous avons déménagé : un nouveau bâtiment, un nouvel Ehpad, dans lequel nos résidents n’ont plus leurs repères. Le temps d’adaptation pour eux, mais aussi pour nous soignants, à été très vite perturbé par le retour du virus dans nos murs. Une semaine après le déménagement, il était là. Nous n’avions pas eu le temps de trouver une organisation correcte, il nous manquait du matériel, l’équipe ne se connaissait pas, on ne connaissait pas non plus tous les patients. C’était dur pour nous. Alors pour les résidents qui n’ont plus leurs meubles, plus le même voisin de droite, ni de gauche, plus les même soignants à leurs réveils, des têtes inconnues mais surtout masquées, ça l’est toujours.
Nos patients ne méritent pas ça, et nous non plus
Quand on fait ce métier, c’est difficile d’avoir une vie sociale. Absence aux repas de famille, à Noël, aux anniversaires… On travaille, c’est comme ça, on aime notre métier tout simplement. Mais depuis que le confinement a été reconduit… comment se détendre, se défouler, extérioriser la frustration de nos journées ? Nous ne pouvons plus voir nos familles, nos amis… Cette pandémie, c’est une épreuve difficile, nous sommes tous concernés. Si chacun, à notre niveau, nous respectons les gestes barrières et le confinement, les différentes structures médicales seront moins débordées.
La fatigue, l’angoisse, le stress ce n’est pas qu’en Ehpad. Médecins, infirmier.e.s, aide-soignant.e.s se retrouvent dans une situation inédite qui pousse l’ensemble du personnel hospitalier dans ses derniers retranchements. Nans, infirmier à Marseille, raconte comment il a géré la première vague.
La plupart des personnes avec qui j’ai échangé sur cette pandémie ont le même discours : « Je m’en fiche de l’attraper, je vais pas m’arrêter de vivre parce que Macron l’a dit. » Mais la question n’est pas là. Nous en apprenons plus sur ce virus tous les jours, les personnes ne réagissent pas de la même façon. Mon métier, je l’aime et je veux pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Aujourd’hui, le manque de temps et d’effectif se ressent trop. Nous sommes contraints d’être maltraitants. Nos patients ne méritent pas ça, et nous ne méritons pas non plus ces conditions. On va finir par être dégoûtés de notre métier et c’est dommage… Alors s’il vous plaît, restez chez vous, pensez à nous.
Sandra, 22 ans, salariée, Macon
Crédit photo Unsplash // CC Vladimir Fedotov