Martin P. 01/07/2021

Présidentielle, du premier vote à l’abstention

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Ne pas voter, c'est grave ? Martin est passé de la fierté d'aller voter à la tentation de s'abstenir. Parce que pour lui, le système de représentation actuel ne fait plus sens. Pour Ibrahim, s'abstenir est une autre forme d'engagement, qui ne remet pas en cause sa citoyenneté.

Quand j’ai voté, j’ai ressenti de la fierté. C’est comme si j’avais quitté mon statut de post-adolescent, pour devenir un adulte à part entière, un citoyen. Sauf qu’aujourd’hui, ma conception de la politique a changé, et le vote n’est plus un acte prépondérant dans ma construction identitaire.

J’ai voté lors de l’élection présidentielle de 2017 (un peu la mort dans l’âme pour le second tour, d’ailleurs). Quand je me suis rendu au bureau de vote pour la première fois, dans une école maternelle à deux minutes de chez moi, j’ai immortalisé chaque étape. J’ai pris des photos du moment, par exemple, où je glissais mon enveloppe dans le bac. Alors que jusqu’à la veille, j’avais prévu de ne pas voter. Même si j’étais politisé, je ne me sentais pas représenté, ni moi ni les gens partageant les mêmes conditions de vie précaires. Aucun discours ne trouvait une résonance particulière dans mon esprit. Ma mère m’a fait changer d’avis.

Si elle pouvait, elle aurait voté. Mais elle est camerounaise. Et les étrangers ne peuvent pas voter à l’élection présidentielle. Du coup, étant français, je me suis dit que j’allais rendre mon vote utile et exercer mon devoir de citoyen. C’était un acte militant. Ayant les mêmes sensibilités politiques que ma mère, c’était comme si j’avais voté pour elle, par procuration.

Dépouiller les bulletins, j’en étais très fier

Au mois de juin de la même année, j’ai, cette fois-ci, voté avec entrain pour les élections législatives. Peut-être que le fait que les enjeux soient plus locaux m’a encouragé à voter. J’ai même participé au dépouillement des voix après la fermeture du bureau de vote ! En rentrant à la maison, j’en étais très fier.

Les périodes électorales ont toujours été des moments d’effervescence pour moi. Je ne sais pas si c’est parce que c’est un phénomène qui me paraissait nouveau (de par ma jeunesse), mais je sentais comme une vague de nouveauté et de changement à chaque élection.

La première élection dont je me souvienne vraiment est la présidentielle de 2007 (surtout du second tour). J’étais interloqué par les affiches ayant fait irruption devant mon école. Les parents d’élèves et les professeurs débattaient beaucoup entre eux. Celle de 2012 m’a aussi marqué, car j’assistais à une opposition féroce contre Nicolas Sarkozy. J’avais l’impression que les gens n’avaient pas voté pour François Hollande, mais surtout contre le président sortant.

Mon « coup d’État » contre une déléguée de classe

Jusqu’à mon année de première, j’avais un enthousiasme très marqué pour la politique. Outre les cours d’histoire-géographie et d’éducation civique, j’avais l’impression de me former à la politique avec les délégués de classe. L’élection, les candidats qui expliquaient pourquoi ils voulaient être élus et l’acte de voter en tant que tel. La parité hommes/femmes était encouragée et on était obligés de nommer un garçon et une fille. C’était nos représentants. J’ai même fomenté (et réussi) un « coup d’État » contre une déléguée de classe en quatrième. On s’en est plaint auprès de notre professeure principale et j’ai pris sa place de facto.

Même si je ne pouvais pas peser dans l’échiquier politique (de par ma minorité légale), je participais à des blocus lycéens. Je voulais même devenir diplomate ! Quand elle rentrait de son travail, ma mère me ramenait régulièrement des journaux de tous bords politiques (de Marianne à Libération). Je regardais aussi des débats politiques sur les chaînes d’information en continu. Ma mère, ma nature curieuse et mon éducation m’ont fait construire mes propres opinions. Mais l’espoir dont j’étais animé pendant toutes ces années a été refroidi.

Je songe à changer de nationalité

J’ai eu l’impression que les politiques cherchaient plus à se conformer aux estimations qu’ils voyaient dans les médias, plutôt qu’à proposer des choses concrètes. Depuis la terminale, j’ai même un désintérêt croissant vis-à-vis de la politique, et je ne pense pas aller voter de sitôt. Je ne me sens pas représenté, compris et accepté dans la France d’aujourd’hui. La stigmatisation des habitants des quartiers populaires par les médias (par exemple, lors de l’affaire Adama Traoré, traitée avec mépris par une grande partie de la classe politique) ou le racisme qui progresse peuvent, entre autres, expliquer cela.

Ma mère me pousse à voter à chaque élection mais je reste sceptique à propos de la représentation. Les listes électorales sont censées respecter la parité et la diversité, mais j’ai l’impression que les têtes de liste et les personnes présentes à des postes-clés sont toujours les mêmes. Cela ne me surprend pas lorsque j’entends l’expression de classe ou de caste politique. L’abstentionnisme et les votes blancs me montrent aussi que je ne suis pas seul à témoigner d’une certaine défiance envers les institutions.

Alors même qu’en grandissant, j’étais fier d’être français, je songe même à prendre symboliquement la nationalité de ma mère, et donc à renoncer à mon rôle de citoyen…

Martin, 24 ans, en recherche d’emploi, Paris

Crédit photo Unsplash // CC Arnaud Jaegers

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