Tatiana S. 21/10/2022

Sous son emprise depuis des années

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Tatiana est sortie avec un dealer de son quartier qui la frappait et abusait d’elle. Aujourd'hui séparée de lui, elle vit toujours dans la peur.

Je le croisais souvent en sortant du collège, pour rentrer chez moi. Il me plaisait énormément mais je n’ai jamais osé lui parler. J’avais 13 ans, je le pensais beaucoup trop vieux pour moi.

Mais j’ai reçu une demande d’ami sur Facebook. C’était lui. Il m’a directement envoyé un message. On a parlé toute la nuit. Puis, il a voulu qu’on se voie. J’étais très stressée, mais je n’ai pas refusé.

Il avait 19 ans. Il travaillait dans le réseau de drogue de mon quartier.

Intimidée par son âge et sa beauté

Je suis arrivée chez lui, gênée, très intimidée par sa beauté et surtout par son âge. Je n’arrêtais pas de me dire : « Mais pourquoi un homme de 19 ans perdrait son temps avec une enfant comme moi ? » On a commencé à se voir, de temps en temps.

Les deux premières années, il était gentil, drôle, doux, attentionné. Donc on a décidé de vraiment se mettre ensemble. Cela devait rester un secret. Le quartier ne devait pas l’apprendre, déjà à cause de notre écart d’âge et, aussi, je l’ai appris plus tard, parce qu’il me trompait avec une autre fille.

Le cauchemar a commencé, petit à petit. D’abord, des réflexions sur ma tenue vestimentaire : il me forçait à me changer. Si je refusais, c’était des menaces, des insultes à profusion et, parfois, des coups.

Je commençais à découvrir son vrai visage. J’avais peur. Je me disais que c’était dangereux mais, avec le temps, il m’a vraiment lavé le crâne.

Les conséquences de cette emprise

Tous les jours, c’était pareil. J’en avais marre, mais je suis restée.

Au bout de quatre ans de relation, il est devenu vraiment possessif. Il ne voulait plus que j’ai d’amis garçons, il décidait des copines que je pouvais fréquenter, m’interdisait de voir certaines cousines, d’aller sur les réseaux sociaux. Il était à l’affût de toutes mes allées et venues.

En cachette, j’ai gardé Snapchat. Une amie m’a balancée. Sans même me laisser le temps de placer un mot, il m’a frappée au visage. Ça, c’était une première : un cocard à l’œil, la lèvre et le nez ouverts, bien gonflés.

Je suis rentrée chez moi, j’ai été me coucher directement pour que ma mère ne me voit pas. J’avais peur et honte de ces marques sur mon visage. Honte de l’avoir laissé me faire ça. Le lendemain, pour aller en cours, j’ai pris le bus très tôt pour croiser le moins de gens possible. J’ai eu droit aux regards insistants des élèves et des professeurs. Tout le monde s’inquiétait, la CPE a convoqué mes profs, l’infirmière, ma mère, mais je n’ai pas voulu parler.

Une dépendance affective

J’ai inventé une histoire, expliquant qu’un groupe de filles m’avait frappée pour prendre mon téléphone. J’avais trop honte. Et pendant ce temps, LUI n’arrêtait pas de m’appeler et de m’envoyer des messages.

J’ai commencé à l’esquiver. Là, il m’a appelée pour me dire qu’il m’attendait en bas de chez moi : « Tu vas voir ce que je vais encore te faire. » J’ai senti ma gorge se serrer et la boule au ventre arriver : je ne savais pas quoi faire, alors j’ai appelé ma mère. Enfin, je lui ai dit la vérité.

On est rentrées à la maison, on l’a croisé, ma mère m’a dit de ne pas le regarder et de continuer tout droit. Le lendemain, elle m’achetait une nouvelle puce pour qu’il arrête de me harceler. J’ai eu le droit d’être tranquille. Pendant un mois.

Finalement, je l’ai laissé revenir car, malgré tout, je l’aimais encore. Je ne pouvais pas l’oublier comme ça, du jour au lendemain. On s’est remis ensemble, même si je gardais cette angoisse qu’il recommence. Les insultes et les coups ont repris mais, au bout de cinq ans de relation, c’était devenu normal.

Jusqu’à l’hôpital

Je me rappelle d’un jour d’avril. Il m’appelle, hurle : il m’insulte, me dit que je l’ai trompé, ce qui était totalement faux. Il veut que j’aille le voir tout de suite. Je ne veux pas, je sais qu’il va encore me frapper mais, cinq minutes après, il sonne chez moi. Je le menace de tout raconter à mon père et il s’en va.

Deux jours plus tard, je vais chez lui pour essayer de calmer les choses. Une fois de plus, il ne me laisse pas parler et me frappe. Mais là, c’est la fois de trop. Il a mis toute sa force, je m’écroule, je suis à moitié consciente et il abuse de moi. Je n’ai plus la force de crier, de me débattre, donc je le laisse faire. Pour moi, c’est un viol. Je me réveille à l’hôpital, avec ma mère en pleurs à côté de moi, la cuisse gauche pleine d’hématomes, des cocards, la lèvre ouverte, le nez gonflé et une grosse bosse sur la tête.

Je n’ai pas voulu porter plainte car il est capable du pire. J’avais vraiment peur de mourir sous ses coups ou qu’il me séquestre. En plus, il connaissait tout le monde dans le quartier, il était l’un des visages du réseau de drogue.

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Deux photos se superposent en transparence. La photo du visage d'une femme de profil, et une voiture sur une autoroute.

Plein d’idées me sont passées par la tête et, quelques jours après, il m’a envoyé un message pour prendre de mes nouvelles, comme si de rien n’était ! Il voulait continuer notre relation mais, pour moi, c’était impardonnable. J’ai encore changé de numéro…

Ce jour où il m’a frappée et violée, c’était il y a quatre ans, et je ne m’en suis toujours pas remise. Je me rends compte des séquelles qu’il a provoquées dans ma vie. Dès que je suis à côté d’un garçon, le moindre geste brusque fait que je me recroqueville. C’est un réflexe.

Tatiana, 22 ans, en formation, Marseille

Crédit photo Unsplash // CC Radu Mihai

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