Mon engagement associatif m’a aidée à m’orienter
J’avais 15 ans quand mon petit frère est né. C’était quinze jours avant mon anniversaire, et quelques mois avant le brevet. Je l’ai eu, mais à la maison, c’était devenu impossible de me concentrer. J’ai décidé de demander une dérogation pour aller en internat.
Durant mes années de lycée, j’adorais rentrer le mercredi et le vendredi après-midi pour qu’on regarde des films, qu’on fasse des activités créatives.
Mais après le bac, que j’ai eu avec mention, j’ai voulu faire un BTS. Je n’ai pas été prise. J’ai voulu postuler dans une école privée. J’ai été admise mais je n’avais pas les sous pour y entrer.
Je ne voulais pas rester sans rien faire, alors j’ai essayé d’entrer en Licence LEA (langues étrangères appliquées). Alors que la fac m’avait dit oui, à quelques jours de l’inscription définitive, on me dit qu’il n’y a plus de place !
Me voilà donc le 10 septembre 2014, le bac en poche, sans solution. Je tente le tout pour le tout et j’appelle la faculté de la ville de mon lycée. Miracle ! Il reste de la place. Ni une ni deux, je suis allée m’inscrire dès le lendemain (c’était un vendredi). Le lundi qui suivait, je commençais les cours, je n’avais donc pas eu toutes les réunions de pré-rentrée, les informations obligatoires, mais c’est comme ça que j’ai commencé mes années post-bac.
Il n’y avait plus de place en psychologie et vu que c’était un semestre avec tronc commun, la dame m’a gentiment expliquée que je pouvais m’inscrire en sociologie et qu’en janvier je pourrais changer.
Chaque semaine, avancer un peu plus
C’est un peu par hasard que je me suis retrouvée à l’AFEV, c’était la seule UE (Unité d’enseignement) qu’il restait à mon arrivée un peu précipitée à la fac. J’ai juste compris que je devais accompagner un jeune des quartiers populaires deux heures par semaine.
Après les galères que j’avais eues pour arriver en fac, cet hasard m’a tout de même réchauffé le cœur. En plus, je venais de m’installer dans mon appart, seule, et j’avais un peu perdu mes repères. En l’AFEV, je voyais la possibilité de combler la relation que j’avais avec mon frère, en passant du temps avec un jeune qui en ressentait le besoin. J’ai pu choisir la tranche d’âge que je souhaitais accompagner. J’ai pris le même âge que mon frère !
Je suis tombée sur une famille vraiment géniale. Dès janvier, j’allais chez eux tous les mercredis pour deux heures. Mais souvent, j’y restais beaucoup plus ! On faisait des activités basées sur ce qu’il voulait faire. Au début, avec la barrière de la langue, c’était un peu compliqué. Mon but était de permettre à «mon» enfant de s’épanouir au travers de choses qui l’intéressaient réellement et non qui lui étaient imposées comme dans le cadre de l’école.
La famille était originaire du Maroc et avait vécu en Italie. À chaque fois que je venais, ils me faisaient goûter une spécialité, c’était un temps où nous nous retrouvions tous pour échanger.
J’ai remarqué que les parents étrangers jaugent souvent l’intelligence de leurs enfants par rapport à leur réussite à l’école. Sauf que pour moi, l’école est surtout un lieu où on apprend à se développer, comprendre, découvrir, s’épanouir. C’est un lieu où le jugement de valeur ne devrait pas exister.
Avec l’AFEV, je voulais transmettre aux petits
Moi, j’ai eu la chance d’être dans une école qui nous prenait sur les temps libres. Créations, perles, peintures… On pouvait toujours faire quelque chose pour s’occuper. J’ai beaucoup appris et découvert que nous pouvions construire, inventer, créer des choses magnifiques avec nos deux mains, sans pour autant que les capacités intellectuelles ne soient prises en compte. En faisant l’accompagnement à l’AFEV, je voulais transmettre cela aux petits.
Avec l’enfant, nous avons créé un lien dès mon arrivée. J’ai remarqué qu’il était captivé par un documentaire sur le système solaire. Je lui ai proposé que l’on fasse un mobile en polystyrène du système solaire et de ses planètes. L’idée l’a emballé ! Chaque semaine, on avançait un peu plus. Ça lui permettait progressivement de développer sa confiance en lui, je le trouvais de plus en plus à l’aise avec moi. À l’école, il était timide et peu à peu, il se montrait aux yeux de la maîtresse comme un enfant intéressé et désireux d’apprendre.
« Moi, aussi j’accompagnerai un jeune qui en a besoin »
Grâce à eux, je me suis accrochée à ma première année de sociologie, mais dès qu’on a plus approfondi le sujet, j’ai senti que ce qui m’intéressait, ce n’était pas l’étude des normes à laquelle la majorité adhérait, mais plutôt le fait d’apprendre de chacun et de considérer son histoire. Je pense que mon accompagnement m’a permis de comprendre cela : que je voulais aller définitivement en psychologie.
J’ai dû voir la conseillère d’orientation pour justifier de mon projet et de ma motivation, elle m’a déconseillé de faire cela car je n’avais pas les notes suffisantes (sur les évaluations en tronc commun), j’étais dans le doute en sortant de là, mais en y réfléchissant je me suis dis que ce n’était pas elle qui ferait mon travail, que je me sentais de le faire et que, surtout, c’était ce que je voulais.
J’ai su aller contre l’avis de la conseillère d’orientation, l’accompagnement n’avait pas seulement aidé mon petit, il m’avait permis de me trouver moi.
Je veux permettre aux jeunes étudiants de donner un sens à leur vie
J’ai reconduis mes deux heures d’accompagnement l’année suivante afin de pouvoir lui apporter au maximum et de la meilleure façon que je pouvais.
Cette année là, nous avons partagé un moment magique : son petit frère est né. On a alors changé toutes les activités prévues pour faire des cartes de naissance pour le bébé !
Je suis toujours en contact avec ma famille. Après la deuxième année d’accompagnement, j’ai décidé de devenir volontaire en service civique à l’AFEV afin de permettre aux jeunes étudiants de donner un sens à leur vie. Il faut se le dire, on est souvent perdus dans le tourbillon des choix que l’on doit faire.
Je suis très contente que « mon » jeune soit toujours accompagné et toujours aussi aimant de l’école, même si ce n’est plus moi qui l’accompagne. Je me rappelle qu’une fois il m’a dit : «Tu sais, Nehah, un jour, moi aussi je ferais des études comme toi, et j’accompagnerai aussi un jeune qui en a besoin.»
L’échange est ce qui compose l’essentiel de notre vie
Aujourd’hui, je suis en dernière année de licence de psychologie, vers le professorat des écoles. J’aimerais pouvoir faire un Master pour devenir instit’, et pourquoi pas un jour monter mon association, qui je pense sera tournée vers les enfants.
Cet engagement à l’AFEV m’a permis de me rendre compte qu’à 18 ans, notre chemin n’est pas forcément tout tracé et que, comme les enfants, nous grandissons à tout âge, et il n’y a pas d’âge ni pour apprendre ni pour transmettre tant qu’on le fait avec le cœur. L’échange est ce qui compose l’essentiel de notre vie, et c’est à partir de là qu’on se construit. Ce petit bonhomme m’a apporté autant voire plus ce que j’aurais jamais pu espérer.
Tony était timide et quand il est passé de la campagne à Toulouse, c’est la vie associative de sa fac qui lui a permis de s’intégrer !
Je sais que ce que nous faisons est essentiel : cela permet aux enfants d’avoir un regard différent sur le monde qui les entoure, tout en aidant les parents à mieux comprendre la dimension globale de la scolarité. Les ouvrir à tout ce qui les entoure est à mon sens une manière de leur donner plus de clés pour leur futur.
Et si cela peut leur permettre de ne pas être désorientés lors de leurs choix, ou jugés, alors j’aurais réussi ma mission.
Nehah, 21 ans, étudiante, Albi
Crédit photo // CC Afev Bordeaux20