Entre culture indienne et codes français
J’ai l’impression d’être coincée dans un entre-deux, de ne jamais être totalement à ma place. D’être incomprise à la fois par la culture indienne et la culture française. Je ne me reconnais pas dans certains codes français, alors que je suis née et que j’ai grandi ici. En même temps, certains codes sont ancrés en moi, ce qui me met dans une position délicate vis-à-vis de mes parents. Ça mène souvent à des conflits avec eux.
Mes parents ont décidé de changer complètement de pays, en quête d’un avenir meilleur. Aujourd’hui, ils pensent que j’adopte des comportements trop éloignés de leur éducation, qu’ils jugent parfois comme un oubli et un rejet de leur culture indienne, ou une volonté de trop vouloir m’émanciper dans la culture française. C’est quelque chose qu’ils me répètent beaucoup au fil des années.
De l’autre, dans mon entourage français, certains ne réalisent pas toujours les contraintes et les attentes familiales qui pèsent sur moi, ce qui crée un décalage. Il n’y a pas longtemps, mes copines me demandaient pourquoi je ne sortais pas quand je voulais. Je voudrais mais mes parents m’en empêchent. Expliquer tout ça sans qu’elles trouvent ça bizarre, c’est difficile pour moi.
Au fil du temps, les petites différences s’alourdissent. Ça commence par des petites discussions lambda avec mes proches qui vivent en Inde. Leur ressenti sur le comportement à avoir pour être une femme convenable par exemple. « Une femme doit bien s’occuper de ses enfants, ne doit pas beaucoup sortir, ne doit pas s’exposer, doit se marier à un certain âge. » J’ai été exposée à une autre sphère sociale, à l’école et en lisant les médias français, et ça me perturbe.
Le respect des aînés
Certains codes français restent cependant difficiles à intégrer pour moi, comme le tutoiement des adultes. Dans ma langue maternelle, le tamoul, on vouvoie toujours les adultes. Quelle que soit la relation qu’on entretient avec eux. En France, les parents de mes amis m’ont toujours encouragée à les tutoyer et même à les appeler par leur prénom. Ça me paraît irrespectueux, mais pour eux c’est une façon de créer un lien, de rendre ça moins « gênant », et même de se sentir moins âgés. Je vouvoierai toujours mes parents en tamoul. Pour moi comme pour eux, ça reste impensable de ne pas vouvoyer ses aînés.
Mais il y a des codes français dans lesquels je me retrouve. Le fait de sortir souvent dehors en tant que femme sans avoir à se soucier du regard des autres. Je me doute que cette internalisation du patriarcat s’est faite naturellement chez mes parents car ils sont nés et ont vécu la grande majorité de leur vie en Inde, un pays avec un patriarcat omniprésent. Quand je leur présente l’envie de sortir dehors plus de deux fois dans la semaine, je me prends des remarques déplaisantes et je suis considérée comme frivole. Ça m’attriste un peu et ça m’empêche d’avoir une vie sociale comme les gens de mon âge.
Mes parents trouvent aussi surprenant que je puisse exprimer ouvertement mes opinions, et même être en désaccord avec des adultes. Une fois, j’ai voulu défendre l’équité entre hommes et femmes et mon père a répliqué que ce n’était pas convenable de répondre comme ça. Dans la culture française, il est courant d’argumenter, de débattre, et même de remettre en question les paroles des aînés dans un cadre respectueux. J’ai pris l’habitude d’adopter cette posture dans mes échanges, notamment à l’école, où l’on nous encourage à défendre nos idées. Mes parents, eux, perçoivent parfois ça comme un manque de respect. Pour eux, la parole de l’aîné ne peut pas être remise en question.
Pooja, 18 ans, lycéenne, Pontoise
Crédit Photo Unsplash // CC Abhishek Tirkey
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