Face à la juge des enfants
La première fois que je suis allé chez la juge des enfants, j’avais 7 ans. J’étais stressé. J’avais beaucoup parlé avec ma belle-mère avant. Elle voulait que je dise tout le mal qui se passait chez ma mère, et tout le bien qui se passait chez mon père. Je me demandais si j’allais réussir à dire les bons mots, ceux qu’elle m’avait dits.
De mes 7 à mes 10 ans, je suis allé six ou sept fois en rendez-vous au tribunal de Brest avec la juge. C’était pour savoir qui aurait ma garde, car les services sociaux faisaient une enquête.
Mais pourquoi je devais dire tous ces mots alors que je ne voulais pas dire ça ? C’est comme ça. On dit qu’il faut dire la vérité mais des adultes te disent quoi dire…
La garde alternée, ça me convenait
Ma belle-mère avait signalé des choses qui ne se passaient pas très bien chez ma mère. À cette époque, je vivais une semaine chez ma mère, et une semaine chez mon père et elle. Ils voulaient récupérer ma garde. Moi, j’aimais bien la garde alternée, ça me convenait. Je savais quand même que, chez mon père, c’était mieux pour moi.
Les relations avec ma mère étaient affectueuses. Je me sentais bien avec elle, je rigolais, j’étais de bonne humeur. Je passais de bons moments, même si je n’avais pas le même confort que chez mon père, et qu’il y avait plus de trucs négatifs. Chez elle, je n’avais pas la même télé et j’avais deux fois moins de jouets. J’étais plus libre, j’allais au terrain de foot…
Chez mon père, je voyais surtout ma belle-mère. Elle me criait dessus. C’était comme une gardienne d’enfants à l’ancienne. Quand il rentrait du boulot, je me relâchais. Mais il y avait plus de jouets, plus de place, une grande chambre à moi tout seul.
Je n’ai raconté que le négatif
Le juge des enfants, c’est une personne gentille, souriante, qui veut le meilleur pour toi. C’était souvent une femme, mais on ne parlait pas très longtemps.
Devant elle, j’ai réussi à dire ce qu’on m’avait dit de dire. Mais, au fond, je ne savais pas ce que je disais, je ne savais pas que je mentais. Je ne racontais pas tout bien, je ne racontais que le négatif qui se passait chez ma mère, mais pas le positif. Le négatif, c’était qu’elle s’énervait trop, qu’elle fumait, qu’elle pouvait avoir des gestes d’énervement, pas dangereux mais pas supers.
J’ai dit que j’aimais être chez ma mère et chez mon père, mais je crois que j’essayais d’en dire le moins possible. Je me disais que moins je parlerais avec la juge, moins il y aurait de problèmes.
Ses parents se sont séparé·es quand elle avait 6 ans. Héloïse a longtemps eu l’impression de devoir choisir entre son père et sa mère.
Mon père a donc obtenu ma garde. À partir de là, j’ai vu ma mère un week-end sur deux, et même moins parce qu’à un moment, je n’y allais plus trop. La journée, je m’occupais, j’étais à l’école, mais le soir j’étais très triste. C’est surtout pour ma mère que c’était vraiment compliqué. Elle a perdu ma garde, puis celle de mon frère, qui est parti en famille d’accueil.
Plus grand, on comprend ce qu’on a dit petit. Dans mon cas, je pense que ce n’était pas le meilleur choix pour moi, j’étais un enfant qui voulait voir sa mère.
Diego, 15 ans, lycéen, Brest
Crédit photo Hans Lucas // © Hervé Chatel – Des dessins d’enfants sont accrochés au mur du bureau d’un juge des enfants. Palais de justice de Meaux, le 14 octobre 2021.