Marcello B. 21/03/2025

Faire la mule ou faire la manche

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Ingérer des boulettes de cocaïne en Guyane et prendre un vol pour l'Hexagone. Pour payer ses études et s’offrir de belles sapes, Marcello, 20 ans, était prêt à prendre ce risque.

Je les voulais, ces claquettes Louboutin, ces chaînes en or, ces habits Gucci que certains avaient. Ils étaient trop fiers, trop riches avec ça sur le dos. Des claquettes à 500 euros, vous imaginez ! Moi aussi, je voulais attirer les filles. Pour cela, quand on vit à Saint-Laurent-du-Maroni, il n’y a pas mille solutions.

J’habite donc à « SLM », comme on dit entre nous, et plus précisément le quartier Vampire, un quartier un peu chaud avec des armes partout, des morts parfois et beaucoup de drogue. De l’autre côté du fleuve, à quelques minutes de pirogue, c’est Albina et le Suriname, où la drogue est partout et bon marché. Vous voyez où je veux en venir. D’un côté du fleuve, la cocaïne ; de l’autre, des jeunes sans argent, sans avenir, avec une carte d’identité qui suffit pour se rendre en Europe. Alors, la tentation de devenir une « mule » est grande. Une mule, c’est quelqu’un qui avale des capsules de drogue pour les transporter dans son ventre. Faire la mule, c’est beaucoup d’argent. Vite et apparemment facilement.

Moi, j’étais parti pour emporter 800 grammes. Je devais me faire entre 6 000 et 7 000 euros de bénéfice. Le prix de départ était plutôt de 8 000, mais je devais rembourser le billet d’avion et payer le « bain », aussi. Le bain, c’est l’argent que tu donnes au chamane qui te protège pour le voyage. Et ça, c’est à tes frais.

Rien de plus simple pour en arriver à faire la mule. Un seul coup de téléphone a suffi. J’ai appelé un « boss », celui qui envoie les autres en voyage. J’avais eu son numéro par mon cousin, qui avait déjà fait un voyage. Dans ma famille, c’est un peu une tradition. Mon père s’est fait arrêter, ma belle-mère est encore en prison en métropole. Alors je me disais : pourquoi pas moi ?

Jusqu’au dernier gramme

J’avais besoin de cet argent. Pour faire le beau, bien sûr, mais pas seulement. J’en avais surtout besoin pour vivre et payer mes études, car j’étais seul à Cayenne. J’appelle donc le boss et je lui demande s’il est à la recherche de gens pour faire la mule. Il me répond : « Oui, quand veux-tu partir ? » Puis il me demande mon âge, si je suis français, si j’ai une carte d’identité, et de lui envoyer une photo de ma tête. En cinq minutes c’était réglé. Je devais partir le 15 ou le 19 octobre.

Après ce coup de téléphone, j’avais quand même un peu peur. J’ai commencé à penser à ceux que je connais et qui ont eu des problèmes. Le pire, ce n’est pas de se faire arrêter. Le pire, c’est la mort si les boulettes se défont dans ton ventre. C’est pour ça qu’il est important de savoir comment sont fabriquées celles que tu ingères. Il faut les tester. Elles doivent être bien dures, solides comme de la pierre, que tu puisses casser une vitre en les lançant dedans. C’est toi qui choisis la taille (le diamètre en millimètres). Il y a des 7, des 8, des 9 et des 10 je crois. Plus elles sont grosses, moins tu en avales. Un kilo en taille 7, ça fait environ 160 boulettes à avaler dans la nuit avant d’aller embarquer à l’aéroport. C’est dur : tu vomis, tu dois boire beaucoup. Mais c’est la technique la plus sûre pour passer.

Finalement, la veille de mon départ, le gars a annulé. C’était trop risqué pour lui : on était dans une période « 100 % contrôle », quand la douane arrête tout le monde. Il avait peur de perdre son argent. Donc je n’ai pas fait la mule. À la place, je suis allé m’inscrire à la mission locale et j’ai repris mes recherches de formation. Aujourd’hui, je ne rêve plus de baskets Louboutin ni d’argent facile. Je rêve juste de m’en sortir avec un vrai métier.

Marcello, 20 ans, en recherche de formation, Guyane

Crédit photo Pexels // CC Eman Genatilan 

 

« Nous ne sommes jamais dans les livres », autoportrait de la France des outre-mer

Ce récit est extrait de notre livre Nous ne sommes jamais dans les livres – Autoportrait de la France des outre-mer, à paraître le 27 mars 2025 aux éditions Les Petits matins.

Au cours de l’année 2024, les journalistes de la ZEP ont arpenté les cinq départements ultramarins pour accompagner 600 de leurs habitant·es à raconter leurs territoires, leurs façons d’y vivre, d’y étudier, de s’y déplacer, d’y faire racine ou de s’en éloigner.

160 récits individuels qui dressent par petites touches un récit choral de cette France qui n’est pas en Europe.

 

banderole orange horizontale avec quatre fois la couverture du nouveau livre de la zep aux éditions Les Petits matins "Nous ne sommes jamais dans les livres". Au centre de la banderole, on peut lire : disponible en librairie le 27 mars.

 

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