Maëlle S. 16/05/2022

En festival, il nous a poussées à nous droguer

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En soirée, l’homme qui accompagnait Maëlle et son amie leur a proposé de la drogue, avec insistance, pour qu’elles perdent le contrôle.

Cette soirée-là, on a prévu de sortir dans l’une de ces boîtes parisiennes particulièrement prisées et chic. Nous venons d’avoir 19 ans, alors je suis excitée par cette perspective : découvrir un nouvel endroit de la capitale, m’amuser avec mon amie, faire de nouvelles rencontres… 

Je reçois un appel d’Alya. Euphorique, elle me dit qu’elle a un autre plan pour notre soirée, que je ne vais pas le regretter et qu’il faut que je prenne un train vers un endroit paumé de région parisienne. Je suis sceptique… Je tente de lui poser des questions sur son fameux « plan », sans succès.

À 22 heures passées, je suis sur le quai, peu rassurée. Un homme au regard baladeur m’interpelle : « C’est pas une heure pour les jeunes filles seules. » Je suis à deux doigts de rentrer chez moi à toutes jambes. L’heure tourne. Elle finit par me dire que c’est un festival perdu dans la campagne. Jusque-là, le plan a l’air sympa. C’est son « ami » qui lui a proposé et c’est lui qui nous guidera. Assise près de la porte coulissante dans une rame, les jambes crispées, je m’impatiente en lui demandant qui il est. L’information tombe en même temps que les portes se ferment : « Mon dealer. »

Une bonne dose de courage

Le train fonce déjà dans la nuit. Elle me dit qu’elle le connait bien et qu’il est réglo. Je sais qu’elle a déjà « consommé » : si je ne fais pas demi-tour, c’est uniquement pour elle. Je prends ma dose de courage pour affronter cette nuit. 

Alya me dit qu’elle est dans mon train avec son ami, ils parviennent à me rejoindre. L’ami et moi, nous nous fixons. Je lui demande son prénom : c’est un pseudo en rapport avec l’or que j’obtiens en réponse. Au début, je n’y peux rien, je n’ai pas confiance. Mais plus le temps passe, et plus je m’habitue à la situation en faisant abstraction de mes craintes et des mauvais côtés. Et si nous pouvions passer un bon moment ?

On est ses « copines »

Nous arrivons à la gare où nous devons encore attraper une navette. En attendant, L’Or nous tend des bières tièdes de son sac. Après quelques minutes, le coin est devenu désert : il sort de la coke. Alya se jette dessus avec joie, je refuse poliment la proposition malgré son insistance. J’ai toujours cette crainte de perdre le contrôle, de devenir spectatrice, plus qu’actrice.

La navette arrive enfin, emportée par l’ambiance allègre et arrosée qui règne à l’intérieur, je me joins aux conversations et j’accepte quelques bières de plus. Le noir de la nuit me paraît alors immense et rassurant. Une petite anxiété m’atteint à l’entrée mais je la fais vite taire. La foule s’épaissit aux alentours. L’Or nous ramène contre lui en nous disant qu’il ne nous lâchera pas, qu’on est ses « copines ».

Un sachet aux pilules en forme de nuage

L’espace du festival s’offre à nous : guirlandes lumineuses, scènes, artistes, musique, un grand bar, un kiosque à souvenirs… Le lieu se remplit doucement. Nous nous servons quelques bières et profitons des effets de l’alcool et de la musique.

Alya et L’Or veulent autre chose pour rendre cette nuit plus magique encore. L’Or nous entraîne à l’ombre du festival, vers les tentes. Après des négociations et une transaction monétaire, un sachet aux pilules bleues en forme de nuage nous est confié : de l’ecstasy. 

Ils m’en proposent, je refuse tout d’abord. Ils prennent une moitié de pilule et me demandent, de nouveau, si j’en veux. D’après eux, un quart ne me fera presque rien. Ils me rassurent : en cas de problème, ils sont là, tous les deux. Ce coup-ci, je craque, j’accepte.

 Je suis en bad trip

Nous dansons et nous nous amusons pendant une heure et demie. La drogue ne fait pas effet. Avec Alya, nous décidons d’en reprendre un quart. Je constate avec méfiance que L’Or se montre parfois très proche et tactile avec nous. Trop. C’est malsain. Alya aussi commence à se rendre compte que son comportement n’est pas normal. En plus, il nous informe qu’un ami à lui va nous rejoindre. Nous tentons à plusieurs reprises de le semer parmi la foule, sans succès : il finit toujours par nous retrouver.

Fatiguées, nous éprouvons un besoin urgent de nous éloigner de lui. Nous voulons rentrer chez moi pour dormir. Il nous suit, nous dit qu’on peut venir chez lui si on est fatiguées. Je me sens mal. Ma perception de mon environnement est ralentie et je frissonne, j’ai la tête qui tourne. C’est une évidence : je suis en bad trip. Je sais que je ne dois ni sortir, ni m’éloigner de la foule. Mon amie est dans le même état que moi et peine à tenir debout. Nous ne devons pas rester seules avec cet homme.

Il est nerveux et s’impatiente

L’Or nous attrape le bras en nous disant que l’on va aller dormir chez lui, que tout va bien aller. Je nous dégage en disant que, finalement, on va rester car on a envie de s’asseoir. On trouve un coin tranquille, près de groupes, pour nous poser. 

Je lutte contre cette envie omniprésente de fermer les yeux, en tenant Alya contre moi. L’Or me pose des questions sur ma réticence à le suivre, je trouve toujours un prétexte au-delà de la brume qui s’épaissit dans ma tête. L’Or a compris que je ne lâcherai rien, que je suis consciente de la situation. Alya est contre moi, silencieuse alors que je lui enjoins de ne pas fermer les yeux. 

L’Or se rapproche, me dit que je n’ai pas l’air bien. Il ressort le petit sachet contenant la drogue en me disant d’en reprendre. Je sais ce qu’il cherche à faire : il voudrait que je devienne aussi malléable qu’Alya. Je refuse et trouve un nouveau prétexte. Il est nerveux et s’impatiente, il pourrait se montrer violent donc je reste cordiale et ferme. Allant de prétexte en prétexte au fil de ses questions, nous finissons par nous rapprocher d’autres gens. Je leur explique que l’on ne va pas bien et que l’on voudrait rester assises. Certains regardent L’Or d’un mauvais œil, comprenant que quelque chose ne va pas dans son comportement. Il reste à distance de nous en disant qu’on est avec lui alors qu’on nous demande discrètement s’il nous dérange. Nous restons silencieuses.

J’ai les cartes en mains

Auprès de ces gens, notre anxiété diminue, je me sens mieux et en sécurité. Avec Alya, nous décidons de retourner sur la piste de danse. L’Or est toujours avec nous mais nous faisons abstraction de sa présence. Néanmoins, il nous dit, plusieurs fois, de venir avec lui en nous disant qu’on a l’air fatiguées. 

Mais j’ai les cartes en mains, il ne nous arrivera rien. Nous dansons jusqu’à l’aube, le cœur battant l’euphorie dans nos veines. Je me souviens de cette sensation : j’ai cette impression que rien ne peut m’atteindre et que le temps est infini. À partir du moment où nous nous sommes fondues dans la foule dansante, je n’ai plus senti le temps passer.

Nous ignorons L’Or mais le poids de sa présence nous pèse. Sur le chemin du retour vers la gare, il continue de jouer son rôle « d’ami » pour nous mettre en confiance. Il dit que la soirée ne peut pas se finir comme ça, qu’on peut venir chez lui. Il veut même ramener Alya chez elle. Sur le quai, il se propose de dormir à nos pieds, au sol de mon studio. Son comportement devient ridicule et me fait « presque » rire mais je garde mon calme pour ne pas l’énerver plus. Sa dernière proposition fut écœurante : il pense que nous entretenons une relation, Alya et moi, et veut qu’on l’inclue, sans quoi il en parlera au copain d’Alya. Fort heureusement, il ne prend pas le même train que nous.

Une peur bleue ecstasy

Cette nuit blanche nous aura foutue une peur bleue ecstasy. Plus tard, j’ai appris de la bouche d’Alya que L’Or n’était pas son dealer, mais un remplaçant d’une trentaine d’années qui lui donnait gratuitement de la conso de temps en temps. Juste avant que l’on se retrouve dans le train, elle était allée chez lui prendre quelques rails, il avait fermé la porte d’entrée à clé, lui avait fait visiter sa maison pour finir par sa chambre. Elle avait fini par lui dire qu’elle devait retrouver une amie pour une soirée, et c’est là qu’il avait décidé de lui proposer le festival. Si je n’étais pas venue, peut-être que mon amie serait rentrée avec lui.

Mia a toujours été contre les drogues, avant d’y prendre goût. Au point de devenir une grosse consommatrice et de vivre des descentes de plus en plus dures.

Capture d'écran de l'article "Les drogues, c'est comme un jeu, parfois dangereux", illustré par une photo sur laquelle on voit deux mains tendues vers nous, une pilule rouge sur la paume de celle de gauche, une pilule bleue sur celle de droite.

Quelque temps plus tard, j’ai lu des témoignages de femmes dans les festivals. Des expériences qui se sont soldées par des agressions sexuelles sous l’emprise de stupéfiants. C’est donc après coup que j’ai réellement été mise au courant des dangers qu’on peut encourir. Je trouve qu’on ne nous sensibilise pas assez. En étant femme, il est difficile de se sentir totalement libre, de profiter de l’instant présent et le vivre avec insouciance. 

Depuis cette nuit, j’ai définitivement tourné la page avec la drogue. Je suis aussi devenue plus méfiante envers les inconnus. J’ai énormément de mal à accorder ma confiance aux gens que je rencontre, et parfois même à certains amis. Ne pas être constamment dans le contrôle de la situation en anticipant toujours (en ne vivant donc plus vraiment le moment présent) m’est compliqué. Je ne peux pas me libérer l’esprit la nuit, marcher tranquillement ou m’amuser au milieu d’inconnus : je ne peux pas oublier qu’il peut y avoir du danger partout.

Maëlle, 21 ans, étudiante, Paris

Crédit photo Unsplash // CC Marvin Meyer

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