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Marine D. 16/05/2023

VIDÉO – Plutôt bêtes de teufs que bottes de keufs

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Marine sortait souvent en free parties. Révoltée par la répression policière, elle n’y a pas remis les pieds depuis trois ans.

En 2015, j’ai fait la connaissance du milieu des free parties. Au premier abord, on entre dans un monde à moitié magique rempli de couleurs et de musique. Mais quand le deuxième visage de ce monde nous saute aux yeux, impossible de l’occulter… J’ai pris conscience de la violence et de la rage des forces de l’ordre envers ce groupe de personnes qui n’aspirent pas à coller aux normes sociales : les teufeurs.

Le 1er mai 2016 avait lieu un teknival à Salbris, en Loir-et-Cher. Moi et mes amis, on avait décidé plusieurs mois à l’avance d’y aller. Alors, une fois nos sacs préparés pour quatre jours de fête, on est tous partis à la gare Montparnasse. Ce moment où la nuit tombe sur Paris marquait le début du week-end pour nous.

Bien évidemment, aucun de nous n’avait l’argent pour payer des billets de train. À mes yeux, resquiller faisait un peu partie du jeu. Une fois proches du quai, on a vu une horde de policiers habillés comme des soldats. Ils faisaient barrière de leurs corps pour empêcher la petite centaine de teufeurs d’entrer dans le train. Ce n’était pas la première fois que j’étais face aux forces de l’ordre. Mais c’était bien la première fois que je faisais partie des cibles.

Une petite course-poursuite a commencé

À ce moment-là, le « bras de fer » a commencé. La soirée s’annonçait longue, pour eux comme pour nous. Des échanges de regards haineux aux injonctions de partir, tout était fait pour nous dissuader et nous effrayer. Plusieurs teufeurs téméraires tentaient la communication, sans succès. Trente minutes à attendre qu’un des deux groupes bouge, rien… La situation d’urgence commençait à se faire sentir : notre train devait arriver, mais ils étaient toujours là… Une information est passée à voix basse de notre côté du quai. On avait une solution ! Un génie parmi nous avait réalisé qu’un autre train croisait notre train initial en dehors d’Île-de-France. Il fallait simplement quitter ce quai sans violence, et surtout sans que les policiers se rendent compte de notre plan.

Bien évidemment, une centaine de personnes qui bougent vers le même endroit, ça se voit. Alors une petite course-poursuite a commencé. Des teufeurs ont été arrêtés en pleine course. D’autres ont eu des amendes, et beaucoup ont fini au poste de police. Les motifs de tout ça ? Le délit de faciès pur et simple, la présomption que ces jeunes possédaient et consommaient de la drogue. J’entends par là des Blancs avec des dreads ou bien des gens en sarouel et en sweat. Même des jeunes ou vieux en jogging et rangers. Alors, pour les policiers, le plus simple était de crier à l’outrage à agent.

Ce soir-là, moi et les potes on a tous eu la chance d’esquiver les barrages. Au final, on a tous pu attraper notre train.

Trois grands keufs nous mettent en ligne

Mais arrêter des soldats n’a pas mis pas fin à la guerre. Après quelques heures de voyage, on est enfin arrivés dans la ville qui accueillait le teknival. A l’entrée du terrain, deuxième barrage de keufs… Contrôle des sacs, fouille dans les voitures et camions qui voulaient entrer sur le site. Encore une fois, suspicion de possession de drogues. On est arrivés sur le site à pied. À l’entrée, trois grands keufs nous ont tous mis en ligne, les sacs à dos devant nous, à nos pieds, pour que le berger allemand puisse nous sentir.

C’était ma première rencontre avec la brigade cynophile. On se sent tellement déshumanisé et dévalorisé : on a simplement envie de faire la fête, mais on nous considère comme un criminel ou un drogué. À vrai dire, c’est précisément ce cliché qui fait autant de mal au milieu. En teuf, j’ai rencontré tout type de gens : bien sûr, des gens sous l’emprise de la drogue, mais aussi des banquiers alcoolisés, des mères et pères de famille ivres de musique, et même des cuisiniers un simple pétard au bec.

Des saisies violentes du matériel de son

Les années pendant lesquelles je suis allée en teuf ont été remplies de ces moments stressants, où on se retrouvait démunis face aux forces de l’ordre. Je ne compte plus les teufs, les free parties qui se sont finies par des saisies violentes du matériel de son. Sans parler des bombes et gaz lacrymogènes envoyés dans la foule pour nous disperser. D’autres tekos ont même été annulés à cause de la répression. Je me souviens d’une soirée où un de mes potes s’est pris une balayette dans les mollets parce qu’il dansait encore, alors que les sommations d’arrêter la musique fusaient de la part des keufs.

Bien sûr, on n’avait pas ce problème à chaque teuf. Mais à chaque fois qu’on y allait, il y avait toujours cette grosse probabilité que, même s’ils ne sont pas sur le site quand on arrive, ils y seront sûrement quand on partira. Les raisons pour lesquelles les keufs étaient sur les sites des free parties sont multiples : ça pouvait aussi bien être un propriétaire mécontent, une mairie, une préfecture, ou simplement d’autres teuffeurs qui se faisaient remarquer sur les réseaux sociaux ou dans les gares. Pour ma part, à chaque fois que la situation dégénérait, je faisais en sorte de nous mettre, moi et mes potes, à l’abri.

Mon petit moment cathartique devant le son

Pendant ces quelques années de ma vie, je pensais teuf, je m’habillais teuf, je vivais teuf. Je ne pensais qu’à une seule chose : vite arriver à la fin de la semaine pour pouvoir aller faire la fête. Mon état d’esprit était simple : tout valait le coup d’être surmonté si, au final, j’allais pouvoir avoir mon petit moment cathartique devant le son. Comme beaucoup de monde dans ce milieu, les endroits où se passent les soirées nous « forcent » à porter des vêtements qui protègent du froid. Mon choix était le classique treillis militaire. Un indice fort pour tous les policiers qui, chaque week-end, cherchaient des petits teuffeurs pour les empêcher d’aller à des soirées qui ne rapportent rien à l’État et qui sont donc dans l’illégalité.

Face à cette injustice, j’ai réalisé la mauvaise presse de ce milieu que j’aime tant. J’aime les free parties parce que tout le monde est unique en son genre. En teuf, on peut autant trouver des bobos gauchos que des fachos, et même des personnes apolitiques, des croyants, des non croyants, des chamanes et des mecs de cité. Mais tout ce petit monde se réunissait chaque week-end pour aimer la même musique et pour respecter deux grands principes : l’auto-gestion et le partage, qui sont totalement l’inverse de notre société.

La drogue, la musique, les gens… Marie aime ces nuits clandestines, ce milieu underground si loin de l’éducation classique qu’elle a reçue.

Capture d'écran de l'article "en rave party, seul le présent compte", illustré par une photo de soirée électro sur laquelle on voit des gens de dos, en noir, au milieu des lumières multicolores et des lasers.

Depuis très jeune déjà, je ne me sentais pas comme toutes les personnes qui ne pensent qu’à l’argent ou à la réussite professionnelle. J’ai toujours pensé que le bonheur ne passe pas par les biens matériels, mais par l’échange social et l’accomplissement personnel. Ces aventures en free parties m’ont appris que même si tu as juste envie de faire la fête, tu pourras être stigmatisée pour tes fréquentations ou ton style de vie.

Aujourd’hui, en 2021, ça fait plus de trois ans que je n’ai pas mis les pieds dans ces soirées. Pas parce que je n’aime plus ça, mais plutôt parce que je n’ai plus la patience de supporter l’intolérance de l’État face à ce mouvement.

Marine, 25 ans, en recherche d’espoir, Montreuil

Crédit photo Hans Lucas // © Fiora Garenzi

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