Ali R. 26/07/2022

Ce corps que je déteste

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Ali a subi des moqueries sur son poids pendant des années. Il rappelle que les injonctions et la grossophobie concernent aussi les garçons.

M’intégrer est assez difficile. Je suis en seconde, et j’ai mis six mois à pouvoir communiquer avec les autres élèves de ma classe. Ça a été difficile, car je suis un adolescent très complexé par mon physique, régulièrement victime de grossophobie.

Je ne l’ai pas toujours été. Lors de mon année de quatrième, j’ai déménagé. J’ai perdu deux de mes meilleurs amis avec qui je passais énormément de temps, à qui je pouvais parler de mes problèmes… Déménager fut pour moi le plus grand de mes regrets. J’ai tout de suite détesté ce nouveau collège et toutes les personnes qui y étaient. Et pour ne pas leur parler, j’ai commencé à m’isoler.

Engloutir mes émotions

J’ai gardé toute la souffrance que j’endurais. C’est là que mon énorme prise de poids a commencé. Et la grossophobie avec.

Après deux mois de souffrances constantes, j’ai englouti mes émotions. J’avais peur de parler à ma famille. Les complexes sont arrivés. J’ai commencé à détester mon corps, mon visage, mes cheveux.

Puis, il y a eu le confinement. Ça a été deux fois pire. Je ne cessais de manger pour faire passer le temps. Et je pratiquais moins d’activité physique. Je détestais mon corps. La cohabitation avec mon esprit était devenue impossible. Le soir, j’avais mis en place un rituel. Je m’asseyais au bord de la fenêtre en observant le ciel. Je ne cessais de parler aux étoiles. Elles représentaient pour moi la liberté que j’avais perdue.

Je regardais le ciel durant des heures et des heures. Arrivées les 9 heures du matin, j’allais me coucher. Deux semaines sont passées comme ça. Puis, le confinement a pris fin. Enfin, c’est ce que je croyais. Alors que je préparais mon sac pour le lendemain, je me sentais triste à l’idée de revoir mes camarades et de devoir trimballer ce corps que je déteste.

Le téléphone sonne : c’est la grossophobie

Mais le confinement a été prolongé. J’étais si heureux à l’idée de pouvoir rester chez moi encore quelques semaines. Mais c’était un cercle vicieux. Plus je restais chez moi, plus j’étais complexé. Je prenais du poids à vue d’œil. C’est là qu’a commencé le calvaire. Je pensais que mes comptes sur les réseaux sociaux étaient en privé. Mais non. Un matin, je me suis réveillé avec un téléphone qui ne faisait que sonner.

C’étaient les élèves de mon collège qui me harcelaient de messages méchants dans lesquels ils me traitaient de « grosse vache », de « ballon de football », de « thon ». Ça a duré plusieurs jours. J’étais triste, chaque soir je pleurais. C’était à chaque fois la même routine. Puis, un jour, je me suis lancé sur TikTok. Je postais des vidéos de moi. J’avais 800 abonnés. Et je me faisais, là encore, incendier de messages haineux. Cette grossophobie ne faisait que renforcer mes complexes. J’ai commencé à écrire des pages entières de haine envers moi-même. J’écrivais des choses dénigrantes sur mon propre corps.

Une rentrée, stressé

L’été est arrivé. Je voyais tous ces garçons avec leurs beaux corps, leurs abdos et leurs pecs. Je n’osais plus aller à la plage. Cet été-là, ma sœur s’est mariée et dans sa belle famille, ils avaient tous de jolis corps. Pendant ce temps, je faisais des crises d’angoisses. Et mon père trouvait que ce n’étais pas viril de réagir comme ça.

Antoine n’a pas envie de changer pour que son corps corresponde à la norme : il préfèrerait que ce soit les mentalités qui évoluent.

Six personnes en maillot de bain à la plage devant un soleil couchant. Iels marchent vers la mer.

Mais, avec ses critiques, je me suis encore plus renfermé. À la rentrée, j’étais stressé comme jamais. À cause des moqueries, de la grossophobie, et aussi à cause des remarques de mes parents. Je n’avais pas d’amis, et j’avais peur de les décevoir avec mon mental de stressé. Mon père me disait : « Travaille à l’école, sinon je te déscolarise ! » Donc j’avais ce stress en plus !

Ce n’est pas tous les jours qu’un garçon ose parler de ses complexes, car on a tellement collé une étiquette au sexe masculin qu’on en oublie qu’il peut ressentir ce sentiment si banal. Même si aujourd’hui ça va mieux, j’ai beaucoup de séquelles qui sont ancrées en moi. Je suis plus timide, je n’ose pas poser des questions ou parler avec des élèves de la classe par peur qu’ils se disent : « Mais il veut quoi lui mdr ? » Je souffre énormément en silence, mais aujourd’hui si j’écris ce texte, c’est que je suis prêt à parler de ce que la grossophobie m’a fait.

Ali, 16 ans, lycéen, Marignane

Crédit photo Unsplash // CC Sergi Dolcet Escrig

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