Grossophobie : ces remarques qui pèsent plus que mes kilos
Est-ce que ça a commencé en primaire ? Je ne me souviens plus trop… Peut-être au CP ?
J’étais assise sur un banc. Marie s’est dirigée vers moi, suivie de Clara, les bras tendus en rond autour de son corps. Une fois devant moi, gardant ses bras autour d’elle, elle a dit : « Je m’appelle Capucine et je suis un gros ballon. » Je me souviens d’avoir couru aux toilettes de l’école, le refuge des gros chagrins pour les petites filles. J’ai longtemps pleuré…
Ces propos d’une enfant, maladroits, sont restés gravés à jamais dans ma tête. Encore aujourd’hui, lorsque j’ai une baisse de moral, ils reviennent hanter mes pensées. Ils tournent dans ma tête à n’en plus finir, de plus en plus fort, de plus en plus intensément.
La grossophobie dès la primaire
Ma taille, ma morphologie, ont fait l’objet de grossophobie, de moqueries constantes. Malgré notre jeune âge, le sujet semblait être au centre des préoccupations. Mes « amies » annonçaient leur poids sans honte à tout bout de champ et voulaient connaître sournoisement le mien. L’excuse que je sortais toujours était que je ne le connaissais pas car je ne me pesais pas. Ma mère me raconte que, pendant ces années de primaire, je rentrais souvent en pleurs à la maison.
Le passage en sixième a arrêté ce flot incessant et dévastateur, en m’éloignant de ces petites camarades toxiques. Pourtant, les remarques étaient toujours dans ma tête… Lorsqu’il m’arrive de croiser ces filles dans la cour du lycée, je ne peux m’empêcher d’y penser.
Ça s’est tassé au collège, donc j’aurais pu tourner la page. Mais c’était sans compter les remarques à la maison. Le repas familial est devenu, peu à peu, une séance de bras de fer avec ma mère.
Une boucle infernale
À partir de la troisième, mes parents, notamment ma mère, ont commencé à me faire des réflexions. Des remarques anodines en apparence. Mais, qui, répétées, te brisent de plus en plus. « Capu, arrête de manger tu vas grossir ! » ; « Ne te ressers pas, tu as déjà assez mangé… » ; « Capu, tu devrais perdre un peu de poids. » Insupportable ! J’en ai eu tellement ras-le-bol d’entendre ces sempiternelles remontrances que j’ai accepté d’aller voir une diététicienne, afin de me lancer dans un rééquilibrage alimentaire.
Au début, ça marchait, il y avait des résultats. Puis, petit à petit, je n’arrivais plus à m’y tenir. Je me suis mise à piquer des tablettes de chocolat et à les manger dans ma chambre, en cachette. Dès qu’il n’y avait plus personne à la maison, je descendais et je volais toute forme de nourriture sucrée que je pouvais trouver. C’était une boucle infernale.
La grossophobie a détruit ma confiance en moi…
En seconde, j’ai eu une anémie de fer. Cette carence engendre des sentiments dépressifs, un manque de confiance en soi, un état de fatigue physique et émotionnelle en permanence. Mais j’ai eu un peu de répit. J’ai interrompu un temps mon rééquilibrage alimentaire.
Cependant, dès que l’anémie a été moins importante, les remarques de ma mère ont repris de plus belle…
Le plus dur, c’est que ces mots, parfois lancés avec les meilleures intentions du monde, détruisent ma confiance en moi. Je crains le regard des autres, l’été est un calvaire pour moi. Je redoute d’être en short ou en jupe et que tout le monde puisse voir mes cuisses, mes mollets. Le pire reste l’épreuve de la plage et du maillot de bain. À ce moment-là, il y a seulement une petite partie de mon corps qui est couverte, et j’ai l’impression d’être nue.
Et plein de complexes
J’ai beau savoir que mon corps est naturel, j’ai énormément de mal à l’accepter. Je complexe par rapport à toutes ces filles, fines et magnifiques, que l’on voit partout dans la rue et sur les réseaux. J’aimerais leur ressembler, mais ma morphologie n’est pas faite de la même manière que la leur. Pour y arriver, je dois faire attention à tout ce que je mange, en permanence, et faire le plus de sport possible. Or, j’aime beaucoup manger et je déteste le sport ! Deux choses qui ne font malheureusement pas bon ménage. Je me sens obligée d’aller courir pour ne pas trop culpabiliser à chaque bouchée.
Pendant longtemps, Victoria a subi la grossophobie de la société. Mal dans sa peau, une rencontre l’a aidée à voir la beauté de son corps.
Je n’ai pas la force mentale pour réduire mes quantités de nourriture et, en même temps, c’est très dur de regarder mon corps dans un miroir. Je me demande si les gens me voient comme moi je me vois. Et j’en souffre. Je peux me montrer agressive avec mon entourage, par peur d’être à nouveau blessée. Du coup, c’est moi qui les blesse sans le vouloir…
Aujourd’hui, j’ai plus de facilités à parler de cette question, mais les remarques et la grossophobie de mes parents sont toujours difficiles à encaisser. Par ailleurs, ils commencent à faire les mêmes à ma sœur de 14 ans et à mon frère de 11 ans. Ça me met hors de moi parce que je sais ce que l’on ressent dans ces cas-là, et je ne veux pas qu’ils vivent ce que j’ai vécu.
Depuis que j’ai commencé à en parler, c’est de moins en moins dur à porter. Il faut le faire. Parler, parler, parler, afin de ne pas garder en soi des blessures qui pèsent bien plus que les kilos superflus.
Capucine, 16 ans, lycéenne, Mérignac
Crédit photo Unsplash // CC Jazmin Quaynor
Quelques ressources (validées par la ZEP) sur la grossophobie :
Le compte Instagram du collectif Gras politique
Le compte Instagram La bande de gros qui dénonce la grossophobie dans les films et séries
Le podcast « Grossophobie, s’excuser d’exister » de Binge Audio
Le podcast « Un podcast à soi : Le gras est politique » d’Arte Radio
Le documentaire On achève bien les gros, de Gabrielle Deydier, Laurent Follea et Valentine Oberti
Le documentaire Daria Marx, ma vie en gros, de Marie-Christine Gambart
Le livre Grossophobie: Sociologie d’une discrimination invisible, de Solenne Carof