Mathis A. 31/01/2022

Si j’étais encore en Guadeloupe, je manifesterais

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Arrivé en métropole il y a quelques mois, Mathis assiste de loin au mouvement de contestation qui secoue son île. Il analyse les causes qui ont poussé les Guadeloupéen·ne·s à descendre dans la rue.

Si j’étais encore en Guadeloupe, je pense que je participerais aux manifestations. Car, ensemble, on est plus forts, et les revendications sont légitimes. Ces manifestations ont du sens. Je crois que c’était obligé que les choses explosent. Déjà, à cause des problèmes : la vie chère, les conséquences du chlordécone, et le souci d’accès à l’eau.

Nostalgique de la Guadeloupe

Je pense que la contestation autour de l’obligation vaccinale des soignants, c’est juste la chute du château de cartes. Tout ça, c’est une crise sociale.

Ma vie a changé du jour au lendemain. Suite à un problème de famille, j’ai dû quitter la Guadeloupe, il y a quatre mois. Quitter mon île et mes potes m’a énormément changé. Moi qui croyais que je n’avais besoin de personne, je ressens désormais une forte solitude. Je suis passé d’un Mathis qui sort tout le temps, qui voit du monde, des amis, à un casanier. C’est grave ! Je suis devenu une personne vide à l’intérieur. Car je n’ai plus l’impression de ressentir de réels sentiments.

Je suis nostalgique de la Guadeloupe. C’est vraiment une belle île. Elle est petite et assez paisible, avec beaucoup de plages. Cela a beau être un département français, on sent un vrai décalage culturel en arrivant en métropole. La mentalité est différente.

Une crise sociale

Le peuple guadeloupéen n’a plus confiance en la France. Ils se plaignent de ne pas avoir d’hôpitaux, et que des postes de soignants soient supprimés. Et les Guadeloupéens n’ont plus de pouvoir d’achat. Si en métropole les prix avaient augmenté de 300 % comme en Guadeloupe, il y aurait des mouvements encore pires que les Gilets jaunes. Dans la logique, si vous augmentez les prix, il faudrait augmenter les salaires, non ? J’ai juste l’impression que ceux qui gèrent les grandes entreprises se font de l’argent sur le dos de la Guadeloupe.

Lorsqu’il vivait à La Réunion, Cédryc avait l’impression que la métropole laissait « crever » son île. Pour trouver une vie meilleure, il a décidé de s’engager dans l’armée, ce qui lui a permis de s’installer à Paris et de suivre une formation.

Capture d'écran de l'article "L'armée pour fuir la Réunion, pour une nouvelle vie !"

J’ai connu les manifestations du LKP [le Collectif contre l’exploitation outrancière est la principale organisation syndicale, politique et associative de l’île, ndlr], en 2009. J’avais 4 ans. Ce qui se passe actuellement me rappelle des choses. En ce moment, il y a des barrages, des pillages. Mais c’est à cause des casseurs. Impuissante, la France a décidé d’envoyer des troupes pour calmer les choses. L’une des plus grandes puissances au monde n’est pas capable de communiquer avec la population, de gérer une de ses îles ? Du coup, on se met à parler d’autonomie et d’indépendance… Je pense juste que l’autonomie empirera la situation sur l’île.

Déjà qu’il y a un taux de chômage élevé, laisser l’île autonome, c’est supprimer les aides… Il n’y a pas non plus un milliard de métiers en Guadeloupe, cela va accentuer la délinquance, les vols. Si demain on coupait les vivres à toutes les personnes sans travail en France, ce serait l’apocalypse. Les politiques devraient un minimum s’informer sur mon île. Il faut toujours avoir une grande réflexion avant de prendre de grandes décisions.

Mathis, 15 ans, lycéen, Montpellier

Crédit photo Hans Lucas // © Carla Bernhardt

 

La grève en Guadeloupe

La vaccination n’est que le déclencheur

Depuis novembre 2021, la Guadeloupe est entrée dans une grève qui paralyse l’île en réaction à l’obligation vaccinale. Elle n’est en fait que le résultat de plusieurs décennies de revendications identitaires et de manque d’accompagnement de l’État.

Les inégalités et la précarité minent l’île

La crise sanitaire a amplifié les inégalités déjà présentes en Guadeloupe, et bien plus importantes que dans l’Hexagone. Les conséquences sont dramatiques : les populations les plus pauvres sont par exemple privées d’eau courante.

L’État semble abandonner ce département

En Guadeloupe, 34 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, soit 20 % de plus que dans l’Hexagone… Le taux de chômage y est très élevé, et un·e jeune sur trois est sans emploi. L’État a aussi minimisé son rôle dans plusieurs scandales sanitaires : ceux du chlordécone et des algues sargasses. Le ras-le-bol, il vient aussi de là.

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