Anna C. 14/06/2023

Guerre au Cameroun : un jour, le massacre a commencé

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Anna a connu la terreur et la faim avant d'être recueillie en France. Elle ne sait pas si ses frères et sœurs, restés au pays, sont encore en vie.

Depuis le début de la guerre, des milliers d’innocents ont été tués. Parmi eux se trouvent mes proches.

Depuis maintenant six ans, il y a une guerre politique au Cameroun entre le côté anglophone et le côté francophone. Les anglophones veulent que l’on sépare le pays, ce qui n’est pas au goût du président, qui est du côté francophone. Avec ma famille, nous vivions dans la zone anglophone du pays, là où la guerre a lieu. Dans la commune de Ndop plus précisément, à côté de Bamenda, une ville d’environ 500 000 habitants au nord-ouest du pays.

Chassés par les machettes et les armes à feu

Depuis le début de cette guerre, rien n’est plus comme avant. Notre vie quotidienne a été très négativement impactée. Nous avons été obligés d’arrêter les cours : à chaque fois que nous partions à l’école, il y avait toujours un groupe de séparatistes, comme on les surnomme, qui venait nous chasser avec des machettes, et parfois même des armes à feu. Les séparatistes veulent diviser le pays.

Plus le temps passait, plus les choses allaient mal. Après la fermeture des écoles, ils ont commencé à fermer les routes. Il n’y avait plus de transports, de marchés, de boutiques, de banques et de locaux administratifs. Ils ont même récupéré et brûlé nos cartes d’identité. Ils sont allés jusqu’à brûler le drapeau du pays. J’ai vu beaucoup de monde mourir, des têtes coupées, les intestins et les cerveaux des gens tués éparpillés sur la route.

Quand les militaires ont décidé d’intervenir pour les stopper, c’est là que le massacre a commencé. Avec ma famille, nous étions huit. Nous avons été obligés de nous cacher pendant des semaines dans la brousse, sans presque rien à manger ni à boire, pour échapper aux tirs entre l’armée camerounaise et les séparatistes. Il y avait des fois où on mangeait une seule fois par jour, nous avions tellement faim. Il n’y avait même pas de tentes. Nous dormions dans des petites maisons construites à base de feuilles de palmier. On ne vivait pas très bien, les conditions de vie étaient vraiment très difficiles. Quand les tirs se calmaient, on pouvait revenir au village.

Nous n’avions nulle part où vivre

Après un moment, je ne sais pas combien de temps exactement, ils ont brûlé notre maison dans le village et nous n’avions plus d’endroit où vivre. Après être retournés dans la brousse pendant des mois, nous avons décidé de nous réfugier dans le village voisin. Nous ne connaissions personne, nous avons demandé de l’aide à des inconnus. Ils nous ont hébergés et donné de quoi manger. Quand mes parents sont décédés et que j’ai perdu de vue mes frères et sœurs, mon oncle qui vit en Angleterre et ma tante qui vit en France ont décidé de me faire venir à Paris.

J’ai l’impression d’être différente des autres jeunes de mon âge car j’ai eu à traverser toutes ces choses, vivre seule et quitter mon continent pour un autre. À cause de cette guerre au Cameroun, j’ai perdu mes parents. Je ne sais même pas si mes frères et sœurs sont encore vivants. Mais malgré toutes ces difficultés, j’essaie d’aller de l’avant. Avec un peu de chance, peut-être qu’un jour, je les retrouverai, s’ils sont toujours en vie.

Les parents d’Abass ont été torturés et tués pendant la guerre civile en Sierra Leone. Ce drame, il ne l’a appris que des années plus tard.

Capture d'écran de l'article "Guerre civile en Sierra Leone : ce jour-là, je suis devenu orphelin", illustré par un gros plan sur un homme noir tenant un morceau de miroir brisé dans la main, on voit le reflet de son oeil.

Je n’aime pas en parler. Quand j’y pense, ça me rend vraiment triste. Ma tante se comporte comme une maman avec moi et je l’aime énormément. Je fais des activités avec mes cousins, ça se passe très bien. Aujourd’hui, ils sont devenus ma nouvelle famille.

Je continue de suivre les infos concernant la situation de mon pays, à la télévision et sur les réseaux sociaux. Chaque fois que je vois des gens tués aux infos, ça me rappelle mes parents morts.

Anna, 17 ans, lycéenne, Paris

Crédit photo Hans Lucas // © Remi Decoster (série photo « CAMEROUN – La ville de Sangmelima, au milieu de la forêt tropicale »)

 

 

La guerre civile au Cameroun

Au Cameroun, la guerre civile a un point de départ bien identifié : la colonisation. En 1922, les Français et les Anglais se partagent le territoire. Le Cameroun ne récupère son indépendance que 40 ans plus tard, et les deux zones se réunifient en 1972. Le problème : deux populations avec deux cultures bien distinctes doivent cohabiter, les anglophones et les francophones.

Au fil des années, les anglophones, minoritaires dans le pays, ont l’impression d’être marginalisé·es. Leur région regorge de pétrole, mais elles et ils ont le sentiment de ne pas profiter des retombées de cette ressource.

En 2016, une partie de la population anglophone se met en grève pour revendiquer sa différence et son identité culturelle. Ces manifestations sont réprimées par l’État et se terminent dans un bain de sang.

Les leaders de la contestation proclament l’ indépendance symbolique de leur région. Ils inventent leur nouvel État : l ’Ambazonie. Une nouvelle fois, le gouvernement réprime ces revendications, arrête et force à l’exil les leaders du mouvement. Les indépendantistes créent alors des milices financées par la diaspora anglophone, et des exactions sanglantes commencent des deux côtés.

Depuis 2016, le gouvernement comme les indépendantistes campent sur leurs positions.

La guerre civile au Cameroun, c’est surtout un désastre humanitaire. Des milliers de civils ont vécu des traumatismes de guerre inimaginables, au moins 6 000 personnes sont mortes, et 640 000 ont dû fuir leur région, voire leur pays.

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