Abass K. 14/10/2021

Guerre civile en Sierra Leone : ce jour-là, je suis devenu orphelin

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Les parents d'Abass ont été torturés et tués pendant la guerre civile en Sierra Leone. Un secret qu'il n'a appris que des années plus tard.

Un ami me lâche tout à coup : « Tu sais, tes parents ne sont pas tes parents. » Je lui réponds que ce n’est pas drôle. Il insiste, un autre confirme. C’est un coup de massue, je suis sous le choc. J’avais 11 ans, je vivais à Freetown, capitale du Sierra Leone, dans une famille normale. Le jour de cette révélation, ma vie a totalement changé.

Pendant des mois, j’y pense sans cesse, sans oser en parler à ceux que j’appelle « papa » et « maman ». Un jour, je demande enfin : « Je veux en savoir plus à propos de mon histoire et de mes parents. » On me crie de me taire, on me menace de me frapper si je continue. « Nous sommes tes parents. Point final. »

Ils craquent au bout de quelques jours

J’entame alors une grève de la faim. Je dois savoir. Ils craquent au bout de quelques jours. Mon père me fait asseoir, et me raconte. Il n’est pas mon père biologique, mais son frère, et celle que j’appelle « maman » est ma tante.

« Tes parents biologiques sont morts. Pendant la guerre, quand les rebelles ont pris la capitale, ils attaquaient les civils. Ils pénétraient alors dans les foyers. Ils venaient chercher les gens. Un jour, ils sont entrés dans votre maison. »

RFI s’est rendue en Sierra Leone, le 23 mars 2021, pour la commémoration des trente ans du début de la guerre civile. Entre le 23 mars 1991 et janvier 2002, 120 000 personnes ont été tuées, et plus de deux millions déplacées. RFI a également consacré un grand reportage à ce conflit qui a traumatisé tout un pays.

Ma grande sœur avait 15 ans. Mon grand frère, 11. Mon père, ma mère et moi étions là aussi. J’avais 4 ans. Les rebelles sont entrés et ont violé ma sœur. Mon père et mon frère ont tenté de s’interposer. Ils ont été battus, frappés, torturés. Les rebelles ont fait fondre du plastique avec des briquets et ont brûlé les yeux de mon père, puis lui ont coupé les mains. Ils ont frappé mon frère, l’ont enfermé dans la maison avec mon père et ma sœur, et y ont mis le feu.

Ma mère se trouvait dehors, avec moi. Elle a été violée. Les rebelles ont enfoncé un long bâton dans ses parties intimes. Ils sont restés un moment devant la maison, jusqu’à ce qu’elle soit en grande partie consumée, et sont partis. Des voisins avaient vu la scène, ils ont accouru dès le départ des rebelles. Ma mère a été transportée dans une clinique, elle est morte deux jours plus tard. Elle a dit aux voisins de trouver mon oncle et de me confier à eux. Voilà l’histoire de ma famille.

L’asile politique, et des papiers pour dix ans

J’étais présent mais je ne me souviens de rien. J’ai vécu avec mon oncle et ma tante en les appelant papa et maman. Ce jour-là, je suis devenu orphelin.

Mon oncle me montre des photos de mes parents. Je vois leurs visages, ceux de mon frère, de ma sœur. C’est un moment terrible. Depuis, je ne cesse d’y penser.

Des années plus tard, j’ai quitté la Sierra Leone. Je vis en France depuis deux ans. J’ai reçu l’asile politique, et des papiers pour dix ans.

Je suis seul avec mon histoire. Parfois, c’est difficile d’être avec les autres. Je vois une psychologue, ici, en France. Elle m’encourage à parler, mais c’est dur. Je ne peux pas partager mon désespoir. Je pense beaucoup au passé. J’essaie de mettre tout de côté pour avancer, mais cela me rattrape sans cesse. Quand les gens me posent des questions sur mes parents, je dis simplement qu’ils sont chez moi, au pays. Je ne veux pas raconter. Mais je ne peux pas continuer à garder tout cela.

Impossible de juste continuer à vivre

Après la guerre, il y a eu un processus appelé Vérité et réconciliation en Sierra Leone. Certains leaders rebelles ont été jugés, mais pas tous. Certains vivent toujours dans la capitale, sans être inquiétés. Il y a eu une volonté de normalisation, la société devait oublier et avancer, la guerre est devenue taboue. Mais comment oublier ? Les milliers de rebelles ne seront jamais poursuivis. C’est impossible de juste continuer à vivre.

À 14 ans, Mukhtar Mohamed a quitté son pays en guerre, la Somalie. C’était soit la fuite, soit devenir enfant soldat.

Illustration sur laquelle on voit une main se prendre dans des barbelés. Derrière, des barreaux de prison.

Aujourd’hui, je suis seul. Mes parents me manquent. Ils me visitent en rêve, parfois c’est mon père, parfois c’est ma mère qui vient me voir et me demande de les suivre. Quand je me réveille, je me sens très mal. Je n’ai plus personne autour de moi, plus personne qui m’encourage, m’entoure, me soutient. Je ne pense pas que je retournerai en Sierra Leone.

Abass, 24 ans, en formation, Marseille

Crédit photo Unsplash // CC Random Institute

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1 réaction

  1. Cher Abbas
    Tout cela est terrifiant. Tu as et c’est normal un stressé post traumatique.
    Il y a et déjà de nombreuses années des méthodes pour aider les personnes touchées, comme toi, par des traumatismes aigües.
    Interesse toi à la méthode nommée EMDR.
    Demande à ta psy, elle devrait pouvoir te donner des adresses. Et si elle ne le fait pas, cherche sur Internet à EMDR.
    Je sais de quoi je parle, violée petite fille. La thérapie m’a aidé mais seul le protocole EMDR m’a réellement apaisée.
    Courage, tu dois vivre.
    Avec mon affection.

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