Nathan A. 20/11/2024

HPI : penser sans arrêt

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Difficultés à s'intégrer, à parler aux filles. Ne pas pouvoir s'empêcher de réfléchir. Pour Nathan, être haut potentiel intellectuel (HPI) n’a rien d'une chance.

Pour la plupart des gens, être HPI est une aubaine. C’est un terme médical qui désigne les personnes ayant un quotient intellectuel (QI) supérieur à 130, la moyenne étant aux alentours de 100. En réalité, c’est une lame à double tranchant avec ses aspects destructeurs.

Pour moi, les mathématiques sont intuitives. Mais comprendre les actes des autres humains et leurs comportements est très difficile. Contrairement à l’informatique, où tout est logique et binaire, dans la vraie vie, les gens ont des agissements complexes et imprévisibles. Je suis comme une sorte d’anthropologue. Je cherche en permanence à comprendre notre civilisation. Quand je n’y arrive pas, je me sens perplexe et triste.

Dans mes relations avec les autres, je ne sais donc jamais comment réagir. J’analyse trop, tout le temps. Pourquoi quelqu’un achèterait-il une paire de chaussures chère pour son design alors que dans un an, elles seront bonnes à jeter ? Ça me paraît totalement stupide, je ne comprends pas l’intérêt. Pour moi, le côté fonctionnel l’emporte. C’est pour cela que je ne porte que des chaussures de sport tous les jours de l’année.

« L’impression d’être un extraterrestre »

Il m’est difficile d’avoir l’air naturel, de m’insérer dans un groupe. Alors quand il s’agit de parler avec une fille qui me plaît, c’est carrément catastrophique. J’ai l’impression d’être un extraterrestre, de n’avoir ma place qu’à des années-lumières d’ici et que, quoi que je fasse, les filles me trouveront toujours bizarre.

Un jour, dans un bus de voyage, j’étais en train de lire Une brève histoire du temps de Stephen Hawking. Le livre de gros geek, quoi ! En plus, j’étais le seul à lire, les autres étaient sur leurs téléphones. Un pote derrière moi m’a dit sur le ton de l’humour : « Ton livre, c’est la théorie de la relativité ou quoi ? » Je lui ai répondu que oui.

À ce moment, ma crush, qui était dans la rangée à côté, m’a regardé et dit : « Premier degré, ton livre a l’air trop intéressant. J’ai lu un livre sur les trous noirs et c’était super ! » En tournant plus ou moins le regard vers elle (tout le long du trajet je n’avais pas réussi à le faire), je lui ai répondu : « Ouais les trous noirs, c’est cool. » La meilleure phrase pour avorter la conversation. Après ça, je me suis directement remis à lire en essayant de cacher mon stress.

Vouloir être moins intelligent

Un problème est que je réfléchis trop. C’est un vrai calvaire pour moi. En plein repas avec ma famille, il peut m’arriver de me demander comment ça se fait qu’il existe une infinité d’infinis et que l’on peut comparer leurs tailles (théorème de Cantor). Je m’arrête de manger, me concentre sur ma réflexion en regardant dans le vide.

Tout le temps, à toute heure et sans s’arrêter, mon cerveau pense et réfléchit à tout et n’importe quoi, mais surtout à des sujets philosophiques et profonds comme le sens de la vie, la mort, pourquoi on existe. Ça gâche en partie mon sommeil, parce qu’il m’arrive de cogiter des heures avant de pouvoir m’endormir.

Parfois, j’aimerais être moins intelligent. J’envie mes camarades qui ne paraissent pas avoir de problèmes comme les miens. Je pense sincèrement que l’imbécile heureux est un concept réel et que, quiconque tente de comprendre quelque chose dans sa globalité, finit par y laisser sa santé mentale.

Mes difficultés sociales sont aujourd’hui plus supportables qu’avant. J’ai quelques amis qui m’ont permis de mieux m’intégrer auprès des autres. Sans quoi, je serais probablement seul dans mon coin. Mais pour ce qui est de penser tout le temps, j’imagine que je vais devoir faire avec toute ma vie.

Nathan, 16 ans, lycéen, Firminy

Crédit photo Unsplash // CC Lesli Whitecotton 

 

« Trouver un endroit où se sentir bien »

Charlotte Van Den Driessche est psychiatre et chercheuse en sciences cognitives. Selon elle, avoir un potentiel intellectuel élevé n’est pas un problème en soi.

« Nathan a donné très justement la définition littérale du terme “haut potentiel intellectuel” : c’est avoir un quotient intellectuel (QI) supérieur à 130. Même s’il y a des biais dans cette mesure de l’intelligence, c’est la moins mauvaise.

Être très intelligent n’est pas un problème, en général. Même si j’entends tout à fait que ce n’est pas évident au quotidien, il faut savoir nuancer ça. Être HPI peut effectivement s’accompagner de difficultés, comme Nathan le décrit. Comme lui, on peut, en effet, se sentir bizarre quand on n’est pas très bien adapté à son environnement.

Le problème n’est pas de trop penser ou d’être trop intelligent, mais de ne pas trouver un endroit où l’on se sent bien. Imaginons quelqu’un de très grand qui vit dans un monde où les gens sont petits, il va avoir mal au dos. La personne intelligente a l’impression qu’elle pense trop. Mais si elle était dans un environnement qui lui convenait, avec suffisamment de stimulations, son cerveau ne serait pas en “surchauffe”. Cette inadéquation génère certainement de la frustration, de l’angoisse. Mais quel adolescent ne se pose pas ce genre de questions existentielles ?

Il faut rappeler que ce n’est pas une pathologie le HPI. Ce n’est pas un diagnostic, c’est une identification. Une caractéristique d’une personnalité. Il n’y a donc pas besoin d’un psychiatre pour savoir qu’on est très intelligent. Les jeunes HPI qui sont “juste” trop intelligents, on ne les voit jamais.

C’est plus fréquent pour nous de voir des jeunes HPI avec un TDAH (trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité). Eux souffrent de ne pas avoir confiance en eux. Au bout d’un moment, il y a une telle dévalorisation qu’ils font une dépression. C’est à ce moment-là qu’ils vont consulter.

Quand un jeune au QI très élevé ne va quand même pas bien, en tant que psychiatre, on peut aussi se poser la question du trouble autistique sous-jacent. C’est ce qui expliquerait que ses interactions avec les autres soient maladroites, qu’il soit mis à l’écart, par exemple. Ça peut être très léger, mais très embêtant à l’adolescence. On sait bien qu’à cette période on ne se fait pas de cadeau !

Internet a changé beaucoup de choses, parce qu’avant, des adolescents comme Nathan étaient très isolés. Aujourd’hui, on peut trouver des forums dédiés à des centres d’intérêt. Nathan, qui aime l’astrophysique, peut plus facilement rencontrer des gens avec qui partager cette passion. »

 

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