Camille P. 01/11/2023

Huit ans de sexisme à la gendarmerie

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Moins d’un quart des gendarmes sont des femmes, et celles qui s'engagent prennent le risque d’être confrontées au sexisme. Celui des collègues, mais aussi celui des civils. Camille a vécu les deux, et après plusieurs années comme gendarme réserviste, elle a décidé de changer de voie.

« Vous m’avez envoyé une stripteaseuse ? » Voilà ce que j’ai entendu lors de ma première vraie intervention, après être devenue gendarme réserviste. Ce n’était pas la première fois que j’entendais ce genre de propos, mais cette fois, j’étais en uniforme… J’ai ressenti un fort dégoût vis-à-vis de cet homme gras, sale et puant l’alcool. Qu’il ait osé me regarder et avoir de tels mots m’a profondément répugnée.

Une semaine après, en plein Covid, on faisait une patrouille dans une ville. J’ai remarqué un homme qui se promenait dans la rue après l’heure du couvre-feu. Il boitait de la jambe gauche. Mon collègue a ralenti le véhicule et j’ai demandé à cet homme pourquoi il était dehors et s’il allait bien. Sa réaction a été très vive : « Toi, ne me touche pas, ne me parle pas, je ne veux rien avoir à faire avec toi ! » Mes collègues sont descendus du véhicule. Moi, mes ordres étaient de rester à l’intérieur et de contacter l’autre patrouille. Quand celle-ci est arrivée, l’individu s’est calmé et a accepté de donner les justificatifs.

« Elle est plutôt bonne en plus ! »

Ça me choque que la présence d’une femme provoque des réactions violentes, voire carrément sexistes. J’entends parfois des mots doux comme : « Oh, trop mignon une gendarmette, elle est plutôt bonne en plus ! » ; « Combien je paie pour que la p’tite dame me passe les menottes ? » ; « Elle est bonne votre copine, ça doit s’amuser pendant les patrouilles ! » Un dernier exemple de ces plaisanteries graveleuses qui pleuvent sur moi : un homme ivre m’a craché sur le pantalon et lancé : « Tu as ce que tu mérites. Ta place n’est pas là mais dans MA cuisine. »

Les ordres de nos supérieurs ? Fermer nos gueules, faire profil bas, supporter et se taire. Quand je subis une insulte, mon chef me demande de reculer et de ne pas interagir avec la personne. C’est très frustrant pour moi de subir ces propos, mais le pire, c’est que la personne n’en subira pas les conséquences. La colère monte en moi, mais j’écoute les ordres. J’ai souvent l’impression que porter l’uniforme ne fait plus de moi quelqu’un d’humain. Comme si je me transformais en une jolie poupée vide d’émotions, en objet inanimé qui ne mérite pas le respect.

Je m’amuse parfois de l’originalité de certaines insultes, comme si j’étais déconnectée de la situation. Je m’y suis habituée… Je ne suis pas la plus à plaindre : la haine est encore plus forte envers les femmes de couleur qui se sont engagées. Moi, j’ai juste le droit au sexisme… Elles, elles ont en plus droit au racisme.

Les collègues aussi

Le pire, c’est qu’on subit aussi ces propos en brigade. En fonction des équipes, ce n’est pas facile tous les jours. Un jour, après que deux jeunes filles se soient faites violer, un collègue a déclaré : « Elles l’ont cherché, elles n’avaient qu’à pas s’habiller comme ça. » J’ai aussi entendu : « Fais chier, les manouches sont arrivés, on va encore avoir des cambriolages ! » Ou bien : « Et voilà, encore une fois, le dealer est noir. » 

Je me souviens aussi de la fois où le responsable de mon armement a d’abord refusé de me remettre l’arme de service car j’étais une jeune femme. Je n’étais pour lui pas apte à la porter, alors qu’à mes côtés, un jeune homme avec qui j’avais fait la formation de réserviste n’a pas eu le droit au même traitement. Après réclamation de ma part, j’ai fini par recevoir l’arme.

Émilie est serveuse dans un bar. Pour garder son travail, elle encaisse en silence les remarques des clients et de ses collègues.

Capture d'écran de l'article "Traitée comme un morceau de viande". Sur la photo, on voit une masse d'homme dans l'obscurité face à un bar; derrière le bar on voit une femme dans la lumière. Il y a de l'alcool sur des étagère derrière elle.

En huit ans de gendarmerie, j’ai pu constater que le nombre de ces actes sexistes diminue. Les fautes ne sont en général pas prises à la légère et les sanctions sont de plus en plus dures, même si cela dépend des chefs.

Au départ, j’ai souhaité rentrer dans la réserve pour confirmer mon envie de faire carrière dans la gendarmerie. J’étais séduite par les valeurs de cohésion et de respect. Mais ça m’a permis de comprendre que je ne suis pas faite pour être gendarme. Je ne me sens pas capable de subir ce sexisme quotidiennement. On dit souvent que les femmes gendarmes sont les plus méchantes, mais est-ce vraiment étonnant ? Si je devenais gendarme d’active (en service actif), je deviendrais moi aussi de plus en plus sèche. Je me suis construit une carapace pour faire face à ces situations. Si j’en faisais mon métier, elle se recouvrirait d’épines.

Camille, gendarme réserviste

Crédit photo Hans Lucas // © JC Milhet – contrôle de vitesse opéré par la gendarmerie sur l’autoroute A9 entre Perpignan et l’Espagne, 28 juillet 2023.

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