Hypersensible : un don maudit ?
« Mais il faut pas pleurer pour si peu enfin ! » ; « Mais pourquoi tu chiales ? » ; « Tu te mets vraiment dans des états pas possible, franchement ! » J’ai trop souvent eu droit à ce genre de phrases. J’ai toujours été comme ça : une « pleurnicheuse » qui a les larmes aux yeux dès qu’elle parle à un adulte. Plus le sujet est sérieux, plus les larmes font barrage à ma voix.
Je me souviens d’un jour où je dînais avec mes parents. Comme d’habitude, on regardait le journal télé. Le présentateur a commencé à parler d’une fusillade dans une école aux États-Unis au cours de laquelle 19 enfants avaient été tués. J’ai senti ma gorge se serrer. Mes parents et ma petite sœur ont un peu été affectés par l’info, mais pas au même degré que moi. Je ne comprenais pas pourquoi.
Ce jour-là, j’ai eu le déclic. J’étais plus en proie aux émotions que les autres. Pendant plusieurs jours, j’ai pensé à cet événement et j’avais envie de pleurer. À la tristesse se mêlait l’incompréhension. Pourquoi est-ce que mon entourage ne semblait pas aussi impacté que moi ? Pourquoi j’étais dévastée à ce point, n’étant pas concernée ?
Absorber les émotions
J’en ai parlé à ma psy. Elle a évoqué l’hypersensibilité et m’a expliqué que je ressentais plus d’émotions face à certains stimulus que la majorité des gens. J’ai compris que moi aussi j’allais devoir absorber et conserver les émotions des gens autour.
Être hypersensible, c’est comme être une éponge constamment imbibée d’eau. La moindre petite goutte supplémentaire ne peut pas être intégrée, et reste dehors. Ça donne l’impression que le moindre petit truc négatif peut ruiner une journée complète. J’ai très souvent espéré pouvoir juste appuyer sur un bouton pour que ça s’arrête, et le fait de ne pas avoir le contrôle est très frustrant.
En troisième, un groupe de filles de ma classe a lancé une rumeur sur moi. Comme elles étaient populaires, ça a très vite fait le tour du collège. Les gens m’évitaient, riaient de moi, chuchotaient à mon approche ou parlaient en me fixant. Coincée dans cette situation, je subissais seule sans savoir quoi faire. Je me savais incapable d’en parler à qui que ce soit, parce que je finirais juste en larmes sans réussir à construire des phrases.
Depuis cette période du collège, cela a empiré. Maintenant, mon anxiété grimpe en flèche quand je dois avoir des interactions sociales. J’absorbe toute la négativité et elle me consomme.
L’hypersensibilité et l’empathie me freinent dans la vie de tous les jours. Passer un appel professionnel est une source d’angoisse. Aller dans des lieux publics est épuisant. Et mes relations amicales pâtissent de ma difficulté à gérer mes émotions et mes sentiments.
Tirer profit de l’empathie
Cependant, je tire également profit de mon empathie pour être à l’écoute de mon entourage et être là quand ils ont besoin. On m’a souvent dit que j’avais le profil pour travailler dans le social. J’ai longtemps voulu centrer mon avenir autour de ma capacité à comprendre et aider les autres. Cependant, évoluer dans le système scolaire est très difficile pour quelqu’un comme moi et j’ai vite abandonné cette idée après de nombreux échecs.
Au fil du temps, je me suis composé un entourage de gens capables de me comprendre et de me soulager, des personnes tout aussi sensibles que moi, et aussi d’autres qui le sont moins mais qui ne me jugent pas.
Je célèbre le moindre effort pour me donner du courage. Après des années de thérapie, je me sens de plus en plus en contrôle, même si les progrès sont très lents.
Je suis fière du chemin que j’ai parcouru et je suis contente de ne pas avoir baissé les bras. Mon travail avec ma psy m’a appris à accepter cette hypersensibilité. Je vois ses bons côtés, plutôt qu’une malédiction qui me tirerait vers le bas.
Cléo, 21 ans, en recherche d’emploi, Salon-de-Provence
Crédit photo Unsplash // CC Zhivko Minkov
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