Inceste, son chantage pour me faire taire
J’étais petite. Entre mes 7 et 10 ans, tous les jours, je subissais les paroles, les attouchements, parfois même les insultes d’une personne proche de ma famille. Il me sortait ses insultes quand je ne voulais pas faire ce qu’il me demandait de faire, dénigrait mon corps, disait que j’étais trop grosse, que je mangeais beaucoup trop… C’est une personne proche de ma mère, c’est tout ce que je peux et veux dire. Il profitait du fait que mes parents ne soient pas là pour faire ce qu’il voulait.
J’ai toujours eu le droit à ses regards qui me disaient « viens, ça ne durera que dix minutes… » et, comme une conne, j’y allais. Car, dans le fond, c’était quelqu’un de ma famille, donc je l’aimais et je ne voulais pas le décevoir. J’ai vécu ça pendant trois ans.
Mon silence en famille contre des cadeaux
Depuis toute petite, il a toujours joué avec ma naïveté. Il a acheté mon silence sur toutes les choses horribles qu’il m’a fait subir. Il m’offrait souvent des cadeaux. Si je montrais une poupée ou un jouet qui passait à la télé, il me l’achetait le lendemain.
Parfois, c’était de l’argent. Vu qu’il achetait des choses presque tous les jours, mon frère (plus âgé de cinq ans) pensait que c’était une histoire de préférence. Je m’en suis toujours voulu. Encore aujourd’hui, je me rends compte que j’aurais dû réagir. Mais en même temps je ne pouvais, et ne peux, le dire à personne. C’est beaucoup trop dur émotionnellement, j’en suis presque incapable. Il m’a manipulée, m’a demandé de ne pas en parler. Il me disait que c’était « notre secret » et que je ne devais « surtout pas en parler aux parents ».
Au collège, le déclic
Je ne me doutais pas de ce que c’était, de ce que ça signifiait, de l’ampleur que cela pouvait prendre. Vu que j’ai vécu ça une grande partie de ma vie, c’était presque normal pour moi. Ces agressions sexuelles répétées m’ont complètement changée. C’est vers 12 ans que j’ai compris certaines choses, lors d’un cours spécial en classe de sixième. On m’a expliqué ce que c’était le viol et les agressions sexuelles. C’est à ce moment-là que j’ai compris que ce que j’avais vécu, ce n’était pas rien. Loin de là. Il avait vraiment profité de moi.
Quand j’ai compris cette « vérité », j’ai eu comme une boule au ventre, qui est restée depuis. Le soir même, je n’arrivais pas à dormir tellement j’y pensais… Puis, même en grandissant, on comprend que ces choses ne sont pas normales. C’est à partir de la classe de quatrième que j’ai véritablement pris la mesure de ce qu’il s’était passé. Ça m’a vraiment chamboulée. Mes notes ont chuté. Pourtant, je n’arrivais toujours pas à en parler à ma famille en raison de leur proximité, et notamment de ma mère, avec cette personne. Lui, il était toujours là, je continuais à le voir.
J’ai peur de le croiser quand je vais au lycée
Je voyais cet homme au moins cinq fois par semaine. Il venait me chercher après les cours en primaire. Encore aujourd’hui, il vient des fois chez moi. Mais quand il vient, j’essaie de sortir. C’est encore mieux avec mes amis qui m’aident. Je leur envoie des messages ou je les appelle quand il débarque. Ils sont au courant de ce qu’il s’est passé.
Depuis que je l’évite, je crois que ma mère a compris pourquoi. Mais elle ne m’a jamais posé de question.
Hors de question pour moi de le voir. Il a essayé de me faire passer pour la méchante et disait à ma mère que je ne l’aimais plus, que, sans moi, ce n’était pas la même chose. Il a essayé de me faire culpabiliser, de se servir de ma mère pour que je passe du temps avec lui. Ma mère n’a jamais répondu aux perches qu’il tendait sur ce sujet-là. Peut-être qu’elle a compris qu’il m’aimait un peu trop. En tout cas, on n’en a jamais parlé ensemble. Elle saura peut-être un jour ce qu’il s’est passé, mais ce sera sans doute dans beaucoup d’années.
Ma mère lui a dit que je me concentrais sur mes études. Normalement, je devais manger chez lui le midi étant donné qu’il habite à côté du lycée, mais j’ai tout de suite refusé en disant que je voulais manger avec mes amies. Là encore, il a insisté auprès de ma mère pour m’avoir. Il a ressorti ses vieux couplets : « Elle ne m’aime plus » ; « Elle me manque » ; « Sans elle, ce n’est pas pareil. » J’ai peur de le croiser quand je vais au lycée.
C’est beaucoup trop dur à dire à ma famille
Je fais des crises d’angoisse. Il est le responsable de mon état. C’est à cause de lui que j’ai peur des hommes, à cause de lui que j’ai parfois peur de mon propre père. J’ai perdu confiance en les autres. J’ai eu plusieurs périodes dépressives et j’en ai encore. Rien qu’en y pensant – car non, ça ne s’oublie pas, je revois les scènes en boucle et cela me met dans des états pas possibles. Des fois, je me fais même peur. Des fois, je n’ai plus envie de bouger de mon lit, je n’ai plus envie de manger. J’ai l’impression d’être là mais d’être absente en même temps. Il m’a complémentent changée. Je suis vraiment plus froide avec les hommes, je me méfie de chaque homme que je vois, même avec ceux de mon âge. Je me suis renfermée dans la musique, les films, le monde virtuel.
Victime d’inceste lorsqu’elle était enfant, Kataléa est aujourd’hui mère d’un garçon de 4 ans et d’une fille de 2 ans. Elle redouble de vigilance pour protéger ses enfants.
J’espère qu’un jour je vais réussir à en parler, car il le faut, ce sont des actes très graves.
Seuls mes amis proches sont au courant. C’est beaucoup trop dur à dire à mes parents, j’ai déjà essayé mais c’est comme impossible. Comme personne de ma famille ne le sait, je ne peux pas porter plainte*. Puis, j’ai peur que si j’en parle, il devienne violent envers moi et ma famille. Ça va paraître un peu méchant mais je sais qu’il souffre de gros problèmes de santé, alors s’il meurt dans la souffrance, ça me soulagera déjà beaucoup. Ce sera le karma.
*À l’issue des ateliers ZEP, l’élève en a parlé à ses professeur·e·s. Le lycée a fait un signalement auprès du procureur de la République. Une procédure judiciaire est en cours.
Alexandra, 14 ans, lycéenne, Dijon
Crédit photo Unsplash // CC Lorna Scubelek
Les chiffres de l’inceste
10 % des Français·es ont été victimes d’inceste durant leur enfance.
78 % des cas d’inceste recensés concernent des petites filles.
84 % des enfants qui parlent de ces violences sont silencié·e·s par leur famille.
Les enfants handicapé·e·s sont trois fois plus exposé·e·s à l’inceste que les autres
Bonjour Alexandra
Juste te dire que je te comprends.
Entre 4 et 7 ans j’ai été victime de viols.
Parle, ne lâchera pas la procédure.
Et surtout libère toi de cette merde
La thérapie EMDR est particulièrement efficace. Renseigne toi.
Je t’embrasse tendrement.