Maxime A. 23/05/2025

« J’ai décidé d’être hospitalisé pour être coupé des écrans »

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Maxime, 22 ans, a vécu ce dont nombre de gamers rêvent. Il a été joueur pro pendant trois ans. Devenu accro au cannabis pour tenir le rythme et supporter la pression, il a décidé d’arrêter son activité, pourtant très lucrative, pour ne plus se laisser voler sa vie.

De 15 à 19 ans, j’ai été joueur pro sur le jeu vidéo Brawl Stars. J’étais l’un des meilleurs dans la meilleure équipe du monde. À 17 ans, je gagnais jusqu’à 20 000 euros par mois.

Récemment, je suis allé en hospitalisation complète pour être coupé 24 heures sur 24 des écrans. J’ai fait toute la démarche tout seul. Je n’ai jamais été aussi bien de ma vie. C’était la première fois que je passais autant de temps sans jouer aux jeux vidéo depuis l’âge de 14 ans. Je dormais à 21 heures. Je n’étais plus sur les nerfs. J’étais bien.

Je suis sorti de l’addiction pendant ces 43 jours à l’hôpital, puis je suis devenu à nouveau addict en seulement quelques jours.

Les jeux, une fuite

Tout petit déjà, je me souviens que je n’arrivais pas à gérer les jeux. À partir de 7 ans, j’ai eu un iPhone et j’ai commencé à jouer à des jeux de voiture. Au moment du divorce de mes parents, c’était une fuite, loin des cris. Vers l’âge de 10 ans, je me souviens d’une grosse dispute entre ma mère et mon père. Mon père était violent et ma mère le suppliait de se calmer. Moi, je jouais sur ma console.

À 12 ans, je n’arrivais pas à gérer ma colère. À 14 ans, on me retirait tout. Sans ordinateur à la maison ou autres écrans, j’ai inconsciemment comblé ce vide avec la cigarette et le cannabis. J’avais déjà l’habitude de sécher l’école. Je rentrais tard. Je ne faisais pas mes devoirs.

Avec l’arrivée du cannabis dans ma vie, j’ai commencé à mentir à tout le monde, surtout à ma famille. Ça m’a beaucoup éloigné d’eux. J’ai rencontré de nouvelles personnes. Au lieu de sécher pour être sur l’ordinateur, je séchais pour fumer. Quand j’allais en cours, c’était juste pour voir mes « potes » ou ma copine de l’époque.

Une fois, je n’y suis pas allé pendant un mois entier. J’allais avec ma mère sur le quai du RER. Quand elle prenait le sien, je rentrais chez moi jouer à l’ordinateur. Ou alors, je faisais un arrêt, puis je revenais chez moi. À cette époque, j’ai commencé à devenir violent avec ma mère quand elle cachait mon ordinateur.

L’un des meilleurs

À 15 ans, je quitte l’école pour me lancer dans l’e-sport sur Brawl Stars. Quand je commence, je suis payé 200 euros par mois. Dans cette phase de test, avec mon équipe, nous finissons première équipe européenne à se qualifier pour la World Cup qui se déroule à Busan, en Corée du Sud. Nous sommes attendus comme l’équipe favorite. Tous les regards sont sur moi.

Quand je deviens pro, le cannabis m’aide à gérer la pression sociale, la peur et la frustration. Je suis plus concentré et plus détendu. À l’époque, je décide de ne pas ramener de cannabis en Corée. Je me dis que c’est trop risqué. Pendant la semaine là-bas, j’ai du mal à dormir. Je stresse énormément. J’ai peur de décevoir. Je suis envahi par un tas d’émotions que je fuis d’habitude.

Nous perdons mais je rentre chez moi et je continue de prouver que je suis l’un des meilleurs. Un an plus tard, je suis recruté par une structure qui me propose 2 000 euros par mois. Je décide de continuer ma carrière. Je fume du cannabis toute la journée. Je me persuade que j’ai un « travail » qui me plaît et que j’ai de la chance  ce qui est le cas  mais je ne me sens plus du tout passionné.

Payer 15 000 euros pour arrêter

Je développe un train de vie qui me rend triste. Je ne ressens même plus d’émotions, même quand je gagne avec mon équipe. Je commence à me forcer à jouer. Je n’arrive plus à avoir le même niveau de jeu. Le cannabis ne me fait quasiment plus rien. Ça s’inverse. Je suis tendu et moins concentré.

Le Covid arrive. Je suis enfermé dans ma chambre 24 heures sur 24. Je joue minimum seize heures par jour. Je ne voyage plus. Je ne peux pas sortir. Je passe mes journées à jouer et à fumer énormément. Un jour, je fais un burn-out.

Certains m’idolâtrent alors que je ne suis qu’un jeune qui fume toute la journée et qui, finalement, n’est pas plus heureux qu’eux. Je suis très vide de l’intérieur. Je suis obligé d’arrêter d’être pro du jeu vidéo pour arriver à arrêter le cannabis. Les deux sont trop liés.

À l’époque, j’ai signé un contrat pour un an. Au bout de trois mois, je n’en peux plus. La structure qui m’emploie accepte que je parte en échange de 15 000 euros. Je n’ai pas envie d’aller en justice. À ce moment-là, l’argent n’est pas un souci. J’accepte. Je donne cet argent et je me promets d’arrêter le cannabis.

Quand j’annonce mon arrêt de la compétition, je reçois de l’amour de la part de toute la communauté. Personne ne comprend vraiment pourquoi j’arrête parce que peu de personnes sont au courant de mes problèmes. Je me dis que je vais me concentrer sur moi : comprendre ce qui ne va pas, pourquoi je n’arrive pas à arrêter le cannabis…

Le jeu me vole ma vie

Aujourd’hui, j’ai 22 ans et j’ai tout arrêté sauf les jeux vidéo, même si je ne suis plus pro. Je joue huit à dix heures par jour. La nuit. Moins qu’avant mais ça a toujours un impact négatif. Je le fais de manière à éviter d’être confronté à l’ennui, au silence, à la vraie vie, beaucoup moins stimulante.

Pourtant, je sais que ce n’est pas ce que je veux faire de ma vie. Plus je grandis, plus je me dis que le jeu vidéo, ce à quoi je passe le plus de temps, me vole ma vie. Je me souviens des gens que j’ai rencontrés dans ma vie, pas de mes parties de jeux vidéo.

Comme j’ai arrêté l’école à 15 ans, je vais intégrer une E2C, une école de la deuxième chance. Maintenant, je me dis que tout est passionnant. Que c’est une question de regard.

Maxime, 22 ans, en quête d’une formation, Île-de-France

Crédit photo Pexels // CC RDNE Stock project

 

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