Yannis A. 23/02/2019

J’ai pas digéré mon année dans la restauration

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Serveur, plongeur, assistant manager, j'ai tout essayé dans la restauration. Sans formation et sans soutien, j'ai fini par jeter l'éponge et mon envie de travailler en entreprise avec.

Je viens de quitter mon travail, c’était la pire année de ma vie. Au début c’était juste un job comme ça, alimentaire, mais ils ont vraiment réussi à m’en dégoûter.

J’ai été recruté à l’aveugle. Après un coup de fil, je me retrouve un midi au restaurant, une cafet’ pour entreprise. Sur les murs de la devanture, il est écrit : « Bio, frais, fait maison. » J’entre, on fait les présentations, me place à mon poste et un membre de l’équipe me dit : « Il faut servir les employés à l’assiette : tu prends une assiette, tu demandes ce qu’ils veulent et tu les sers. Facile. Après, c’est la plonge. » Trier couteaux, fourchettes, cuillères, petites cuillères. C’est pas le job dont j’ai toujours rêvé.

Dès le deuxième jour, ils m’affectent autre part. En une semaine, je dois remplacer un manager et tenir un restaurant de 150 couverts. Tout ça parce que ma première journée s’est bien passée ? Un serveur sans expérience, dont ils n’ont jamais entendu parler, pourrait selon eux devenir manager d’un restaurant en une semaine ?

Non évidemment. À la fin de la semaine, je ne sais pas manager, alors ils m’affectent encore autre part comme barista. Parce que selon eux, je suis à l’aise à l’oral. Quand j’y vais, c’est un immeuble très tendance, siège de start-ups en tout genre, avec des clients très chics, qui attendent d’être servis spécialement, par de vrais professionnels. Je n’ai jamais été barista, je ne sais pas quoi faire. En plus, une fois à mon poste, le manager ne m’explique rien. C’est la prof de yoga des entreprises qui me forme… Lui ne fait que me scruter de loin. À la fin de la journée, en rentrant chez moi, je reçois un sms de sa part : je ne suis pas retenu.

Le lendemain, on me renvoie donc sur le premier site. Tant mieux. L’équipe sur place m’explique : selon eux, le périple d’une semaine de site en site, les promotions irréalistes, c’est normal dans l’entreprise… « Manque de personnel » ; « On prend des débutants et on leur donne des responsabilités, plutôt que de donner le job à des gars expérimentés, qui savent ce qu’ils font mais qui coûtent plus cher. »

Tellement d’heures impayées… j’ai craqué

Cette fois-ci, je reste sur ce site, et au bout d’un mois et demi j’obtiens une place en plus pour le service du soir à la cafet’ d’une chaîne télé. Je voyage alors d’un site à l’autre, du midi au soir. Des « horaires en coupure » on dit. Plus le temps de rentrer chez moi. Je reste donc sur le site du midi pour aider l’équipe après mes horaires. 1H30 d’heure sup’ journalière, évidemment jamais payée.

Six mois passent et je finis par découvrir le vrai visage de la cafet’ quand on me promeut manager remplaçant pendant les vacances d’été. Aucun site n’est aux normes ! On me livre des plats pas assez froids : la RH me dit de les vendre quand même. Une vitrine réfrigérée ne marche plus : on y entrepose quand même les boissons et les desserts… Le sigle « bio » que j’ai remarqué sur la devanture mon premier jour correspond en fait à… un seul yaourt ! Soit moins de 1% des produits mis en vente. C’est ça, « BIO » ???

On découpe des pommes abimées pour les mettre dans les salades de fruits plutôt que de les jeter à la poubelle. Le salad’ bar qu’on prépare est principalement composé de légumes en boîtes. « Frais » ??? « Fait maison » ? J’ai honte de servir les clients. Je ne me crois plus quand je dis « Bon appétit » à ceux que je sers. Je me sens complice d’une escroquerie manifeste.

À la rentrée, dégoûté par l’entreprise, on me replace sur le site d’avant avec mes horaires habituels. Je continue de travailler gratuitement 1h30 par jour et j’en ai marre de trier les couverts, ranger les assiettes, les verres, astiquer le sol, le four, des recoins jamais lavés qu’on découvre tous les jours, des desserts dont on change la date de péremption, des regards des clients… Marre.

La cafet’ de la télé où je travaillais le soir finit par fermer. Alors, surprise ! Les patrons augmentent mes heures sur le site du midi. On me promet une heure en plus par jour. Celle qu’on ne m’avait jamais comptée jusqu’à présent quoi… Je passe donc le mois avec les mêmes horaires, presque payés en totalité cette fois-ci. Mais au moment de toucher ma paie, nouvelle surprise : on ne m’a compté qu’une heure en plus le vendredi. On me vole 4 heures chaque semaine, 16 heures dans le mois, soit plus de 120 euros. Ça, plus les 30 heures sup’ par mois impayées, depuis bientôt un an, c’est trop.

Hilal, elle, s’est énormément épanouie dans son travail ! Elle rencontre des gens incroyables et ça la fait sortir de sa petite ville ! « Je découvre le monde en travaillant avec des personnes âgées ! »

« C’était pourtant ce qu’on avait dit ! » affirme le manager ! Je l’écoute me parler de choses, de choses dites comme si je ne devais surtout pas les comprendre, comme si je ne pouvais pas comprendre, et je finis même par le croire… Mais après le taff, mes collègues m’expliquent : « C’est lui qui te pique tes heures ! Il se rajoute tous les jours une heure sup’. Alors qu’il prend autant en pause ! Et du coup, toi, il te met rien. »

Il m’arnaque. Mais, je me dis que c’est pas vraiment la faute de mon manager. Lui aussi, il a un job de merde. Pire, il en est le manager. Alors il en profite pour se rajouter des heures. On ferait tous pareil. Mais moi non, vous ne m’aurez pas. Ils ne m’auront pas. J’ai quitté le job dans la foulée. Abandon de poste.

Aujourd’hui, j’ai retrouvé le goût du travail en m’engageant dans un projet que je considère. Plus que pour l’argent, j’offre mes services pour une cause que je soutiens.

 

Yannis, 25 ans, volontaire en service civique, Paris

Crédit photo Flickr // CC Nathan Rupert 

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2 réactions

  1. Moi je suis en restauration. 15 ans a l’étranger et ce fut super.
    Maintenant en France et je vais arrêté la restauration.

  2. Bonjour Yannis.
    Très bien écrit.Bravo.
    Tu as compris le monde du travail.
    Triste et cruelle réalitè.
    Bonne continuation.

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