Naëlle L. 11/04/2025

« J’aurais voulu aller au bled chaque été »

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D'origine kabyle, Naëlle regrette le manque de transmission de la part de sa mère. Bientôt, elle retourne en Algérie.

« T’es algérienne toi ? » C’est comme ça qu’un camarade de classe m’interpelle l’année dernière. On ne m’a pas posé cette question depuis longtemps. Comme à chaque fois, je réponds que, oui, je suis kabyle, ce qui explique que je ne ressemble pas à une Algérienne. Il se met à rire, à me traiter de menteuse. Mon prénom n’est pas arabe et parce que j’ai la peau blanche plutôt que matte, je n’ai pas « une tête d’Arabe ».  

Comme si ce n’était pas assez, il me dit que le kabyle est une « langue de barbares ». Moi j’aimerais bien parler kabyle. Je pourrais échanger avec mes grands-parents, et surtout, me débrouiller en Algérie si j’y retourne. Ma mère m’a dit qu’elle n’avait pas eu envie d’apprendre cette langue. En réalité, elle n’a jamais appris parce qu’elle avait peur des critiques qu’elle aurait pu subir à l’école. Sa peur m’a empêchée d’accéder à ma culture. 

J’ai toujours voulu faire comme mes grands-parents : aller au bled chaque été. Mais je n’y suis allée que deux fois, quand j’étais toute petite. Je n’en ai aucun souvenir. Chaque année, je demande à ma mère d’y aller. Sa réponse est toujours : « Non, on n’a pas le temps. » De sa famille, elle est la seule à ne pas y être retournée en quatorze ans.

Ma mère est aussi la seule à ne pas cuisiner les spécialités. Pour les gros évènements comme les mariages ou anniversaires, toutes mes tantes se rejoignent chez mes grands-parents pour préparer les gâteaux ou le repas. C’est souvent du couscous. Ma mère aide rarement car elle ne sait pas comment faire. 

« Comme si j’étais en Algérie »

J’ai envie d’apprendre la langue mais c’est trop tard. Ma grand-mère n’est jamais allée à l’école. Elle ne sait ni lire ni écrire. C’est trop compliqué pour elle de me l’apprendre. Alors j’essaie de lui poser des questions lorsqu’elle cuisine : « Comment on dit ça en kabyle ? »

Ma grand-mère aime beaucoup écouter de la musique kabyle. Elle me demande à chaque fois si je peux lui mettre ses chansons préférées. Ça me fait rire. Elle se met à danser et chanter. Elle m’en traduit certaines. J’aime bien ces moments parce que c’est comme si j’étais en Algérie avec elle.

L’été dernier, mes tantes, mes oncles et mes grands-parents sont tous allés ensemble en Algérie. Mes tatas m’envoyaient beaucoup de photos. Je leur disais que j’aimerais être avec elles. Elles me répondaient tout le temps : « L’année prochaine on ira tous ensemble, je vais en parler à ta mère. » À chaque fois c’était comme ça. Mais cet été, on y retourne enfin !

J’ai hâte d’aller en Algérie après tant d’années. Je prends ça comme un retour à zéro. Comme si ces quatorze années de vide n’étaient jamais arrivées. Je pourrai accéder à ma culture pour de bon. Je n’en veux pas à ma mère. Je sais que ça devait être compliqué pour elle quand elle était jeune. J’espère que le retour en Algérie lui fera remonter des souvenirs, et que ça lui donnera envie d’y retourner chaque année. 

Naëlle, 17 ans, lycéenne, Achères

Crédit photo Pexels // CC Tim Gouw

 

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