Je ne suis pas un numéro, je suis chômeur
J’ai 25 ans dont dix-neuf mois de chômage. De mars 2015 à septembre 2016, j’ai pointé tous les mois à Pôle Emploi. Des projets épars venaient rompre ce train-train tragique, mais sans m’offrir de réelles perspectives.
Mars 2015 : fin de mes études, accompagnées d’années de petits boulots nocturnes. Me voilà diplômé d’un master 2 en sciences sociales.
Je décide alors de changer de voie et de trouver une alternance en journalisme, sans succès. Manque d’expérience.
Vous comprenez, pour commencer une formation, mieux vaut avoir de la bouteille. Je décide donc de délaisser mes bouteilles (de barman) pour me consacrer pleinement à cette recherche. Je m’inscris à Pôle Emploi et vient alors le premier paradoxe administratif.
N’ayant jamais gagné plus de 800€ par mois (job étudiant à mi-temps), mon allocation est de 592€ par mois. Une fois mon loyer, EDF et le forfait de téléphone payés, me voilà avec 200€ à étaler sur 30 jours.
Autant vous dire que j’ai appris mille façons de cuisiner les pâtes !
Après avoir travaillé six ans pour payer mes études, me voilà donc récompensé, à 24 ans, d’une indemnisation… insuffisante. Pas de RSA possible, pas d’allocations supplémentaires.
Mais je persiste dans ma (nouvelle) voie ! Je passe donc mes journées à végéter devant mon ordinateur, à chercher du travail, seul.
Tous les jours, seul face à mes échecs
Être au chômage, c’est un travail à plein temps !
La première année, j’ai dû envoyer 1000 mails, téléphoner à une cinquantaine de rédactions et je me suis déplacé en personne chez une vingtaine d’entre elles.
Des offres d’embauches, des candidatures spontanées, du réseautage à la pelle… rien n’y a fait.
Vous savez ce qui a été le plus dur ? Subir rejet sur rejet : ne pas recevoir de réponses à mes mails, se faire moquer ou simplement ignorer, être relégué sous une pile (un amont, un Everest) de CV jamais ouverts.
L’attente est telle qu’une simple réponse négative devient signe de reconnaissance, un entretien : une consécration.
La majeure partie de la journée, j’étais donc seul face à mes échecs, seul face au monde du travail qui ne voulait même pas me mettre à l’épreuve.
« Mais en même temps tu devais avoir beaucoup de temps libre, non ? » Mais oui bien sûr !
Avec mes 200 € par mois je ne pouvais bien sûr pas sortir, pas partir en week-end, je devais frauder dans les transports et toute dépense non essentielle était devenue impossible.
Fini les sorties, les cinés, les expos, les loisirs quoi !
Pôle Emploi vous accompagne… dans votre descente
Finalement, peu à peu, on en a même plus envie.
L’inertie est éreintante, les rejets attaquent le moral, l’ignorance agace et la répétition mécanique de l’envoi des traditionnels CV et lettres de motivation… aliénante.
Moi qui pensais avoir des capacités, avec un bac + 5 et des expériences non-professionnelles valorisables, je me suis retrouvé complètement désemparé.
Ma confiance en moi lentement évaporée, j’ai commencé à envoyer moins de CV, je n’ai plus eu le courage de me faire claquer des portes au nez.
Et pendant ce temps-là, Pôle Emploi vous « accompagne » dans votre longue descente aux enfers.
Pôle Emploi, c’est une machine magnifiquement rodée pour ne pas prendre en compte les singularités.
La logique veut qu’on vous mette dans une case, avec plein de chiffres et des grands mots. Leurs conseillers sont des robots incapables de différencier les approches et vite dépassés par des profils atypiques.
C’était mon cas évidemment. D’abord je ne cherchais pas un emploi mais une alternance. « Ah bon ? Mais nous, on ne fait pas ça… » Je le savais bien sûr mais je ne cherchais d’eux aucune aide autre que financière. « Vous voulez être journaliste en plus ? Vous êtes sûr que vous ne voulez pas faire de la com’ ? ». Silence gêné, ma conseillère comprend son erreur et rebondit tant bien que mal. Elle essaie de me faire rentrer dans ses petites cases sans grand succès.
Finalement elle conclue : « Je vais voir ce que je peux faire mais dans votre domaine c’est très bouché ». Merci Pôle Emploi.
A force d’être traité comme une merde…
Puis les rendez-vous s’enchainent, on fait des bilans, des rapports, on actualise mon profil. En fait, on me convoque fréquemment pour garder l’illusion d’assistance.
Ce qu’implique psychologiquement le chômage, ça, ils ne vous le demandent pas. Mais j’ai vu, lors de mes longues séances de file d’attente, le regard vide et déprimé de ces gens qui, comme moi, se sentaient dans une impasse.
Car il n’est pas question que d’emploi, même les relations avec l’entourage évoluent.
A force d’être traité comme une merde… on a l’impression d’en devenir une.
Pendant cette longue période, je n’osais pas dire que j’étais simplement en recherche d’emploi. Pour les gens je préparais un film, j’écrivais des piges, je faisais des extras au bar, je prenais du temps pour moi.
Quelques coups de pied au cul
Plus les mois passent, plus la honte prend le pas sur les projets annexes, bien réels mais moins concrets. On y met de moins en moins d’entrain et, après un temps, on n’y croit plus soi-même.
On semble alors moins intéressant pour les autres, même pour ses proches. On n’a plus forcément grand-chose à raconter.
On devient aigri et renfermé, on n’ose pas dire que ça ne va pas, on s’agace en silence de ceux qui rêvent de notre oisiveté et on envie les voies de ceux qui ont trouvé la leur.
Heureusement pour moi, j’avais des projets à côté, des petits boulots, des gens toujours présents. Je pense que sans ça j’aurai abandonné tout espoir et j’aurais accepté l’une des multiples offres de Pôle Emploi (Communication, Gendarmerie, Plomberie, BTP mais aussi… Conseiller Pôle Emploi !).
Je me suis mis quelques coups de pieds au cul au moment où je touchais le fond, j’ai repris mes recherches et j’ai finalement (enfin !) trouvé quelque chose qui me correspond.
Les chômeurs ne sont pas des chiffres ou des pourcentages, des prévisions ou des tendances.
Voilà pourquoi, quand j’entends ces discours, ça me donne juste envie de tout casser ! Mais, faute de marteau, il me reste des mots et je les enclume.
Elliot, 25 ans, volontaire en service civique, Paris
Moi, Elliot Clarke! (cf. Moi, Daniel Blake!)