Je ne veux pas d’une vie de travail et de sacrifices
À la fin du collège, à 14 ans, plutôt que d’aller au lycée, je me suis orienté vers un centre de formation d’apprentis en boulangerie. Pourquoi la boulangerie ? Parce que j’ai lu un manga sur la boulangerie : Yakitate!! Ja-pan. Le héros avait des supers pouvoirs avec des mains solaires pour faire fermenter le pain, c’était ultra bien dessiné. Je crois que je m’étais arrêté à la vitrine… J’ai quand même passé quatre diplômes en six ans de formation : d’abord un CAP pâtissier, ensuite une Mention complémentaire Pâtissier chocolatier glacier confiseur, puis un CAP et enfin un brevet professionnel en boulangerie.
Après, j’ai travaillé cinq jours sur sept pendant plus de deux ans dans mon entreprise de formation à Dunkerque, avant de claquer la porte. Trop de tensions familiales et professionnelles, j’ai fait un burn-out. C’est là que j’ai commencé une longue et redondante période de petits boulots sans avoir de réel objectif : livreur de pizza, couvreur, boulanger remplaçant… jusqu’à revenir à Grande-Synthe, ville de mon enfance, pour faire un service civique, dont je garde plein de bons souvenirs.
Ceux qui travaillent c’est le film poignant de 2019 ! Antoine Russbach parvient avec brio à briser l’illusion des vies laborieuses tout en leur cherchant une porte de sortie.
Depuis, je stagne. Je tourne en rond dans « le bon vieux chômage », ce faux ami qui patiente avec moi dans l’attente de trouver un travail qui me permettrait enfin de montrer ma valeur. J’attends de pouvoir montrer qui je suis dans cette société qui laisse peu de place à l’épanouissement de l’individu, au profit du chiffre et de l’investissement entrepreneurial.
La carrière de mes parents ne sera pas la mienne
Aujourd’hui, ce qui me bloque, c’est que je n’arrive pas à trouver la raison qui me pousse à me lever le matin, si ce n’est pour mes factures. J’ai l’impression d’être une fourmi de la société, de faire partie de la masse salariale. Le manque de valeurs humaines telles que l’altruisme et l’entraide… voilà comment je perçois le monde du travail. C’est à l’image de la carrière professionnelle de mes parents, même si j’ai un profond respect pour ce qu’ils ont accompli.
Mon père est couvreur depuis que je suis né. Il a un mental solide pour se lever chaque matin à l’aube et partir travailler sur des chantiers malgré ses douleurs physiques. Les chantiers sont risqués. Et c’est sans fin, à moins d’un handicap s’il lui arrive un accident, ou une démission qui mettrait les revenus du foyer en péril.
Ma mère, elle, a travaillé ici et là dans des emplois d’appoint pour combler les finances d’une famille de six personnes, dont deux ados et deux bébés à l’époque. Ce qui me rend fier d’elle, c’est qu’elle a eu le courage de reprendre ses études assez tard pour pouvoir décrocher un emploi un peu mieux payé que ses emplois de caissière. Ce travail ralentissait la guérison de son poignet et la faisait souffrir.
La pénibilité au travail n’est pas la même pour tous.tes. Être ouvrier dans le bâtiment, c’est souffrir de douleurs physiques et travailler dans des conditions difficiles, tous les jours. Nicolas l’a fait pendant un été.
C’est en voyant par quoi ils sont passés que j’en suis arrivé à la conclusion qu’une vie de sacrifices professionnels n’était en rien gratifiante, si ce n’est pour garder ses enfants à l’abri, un peu comme un sursis. Le hic, c’est qu’on m’a toujours rabâché que la vie c’était ça : du travail, des sacrifices, de l’argent à économiser, et que peu importe si je ne comprends pas le sens ou le besoin, la vie est comme ça ; il faut avaler sa tartine, de gré ou de force. J’espère ne jamais m’y habituer.
Teki, 23 ans, en recherche d’emploi, Dunkerque
Crédit photo © Condor Distribution // Ceux qui travaillent de Antoine Russbach (Film 2019)