Eva J. 23/04/2025

La mobilité malheureuse

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À 18 ans, Eva part seule au Canada pour la deuxième fois. La solitude et les crises d’angoisse font tourner le rêve au cauchemar. De retour en France, elle change de cap.

J’ai 17 ans et je rêve de partir loin de chez moi découvrir de nouveaux horizons. Le Canada, c’est ce pays qui me fait tant rêver. Je le vois comme un pays de liberté, où les gens sont ouverts d’esprit. Je rêve de faire mes études de criminologie là-bas.

L’organisme avec lequel je pars à Toronto m’a bien vendu les bénéfices de partir à l’étranger. Son credo, c’est : « Les voyages linguistiques, c’est top pour les jeunes étudiants, ça permet de découvrir de nouvelles cultures ! » 

Je pars seule. Je suis dans un bon état mental. En arrivant dans la résidence étudiante, je socialise de suite avec des étudiants internationaux. Ce voyage se passe à merveille. Les cours sont intéressants. Les gens sont adorables. Deux semaines mémorables.

Crises d’angoisse

J’ai 18 ans et de bons souvenirs du Canada en tête. Je veux renouveler l’expérience. Cette fois, je décide de partir à Montréal. Mais entre le moment où je réserve le voyage et le départ, ma psychiatre, qui me suit depuis cinq ou six ans, pose un diagnostic : « Vous êtes borderline. » 

Avant de partir pour Montréal, je suis dans un mauvais état d’esprit depuis environ trois semaines. Je ne me sens pas bien. J’ai des idées noires. Je fais des crises d’angoisse assez intenses. Je suis déprimée sans aucune raison apparente. Je n’ai pas envie de partir. À ce moment-là, je n’en parle pas à mes parents. Je garde ce mal-être pour moi. 

Vient le jour du départ. Je suis quand même assez excitée. Je voyage en première classe pour la première fois. Le vol se déroule bien. Je passe les contrôles à la frontière.  Je suis pressée d’arriver dans la résidence étudiante et de découvrir mes colocataires pour les deux semaines qui vont suivre. Et puis, qui sait, cela va peut-être me changer les esprits ? 

J’arrive à la résidence. On me donne mes clés. Je prends l’ascenseur : direction le seizième étage. J’ouvre la porte de l’appartement. C’est vide. Je fais le tour. Il y a des affaires dans la salle de bain. Je suppose qu’il y a bien quelqu’un avec moi, malgré les quatre chambres en apparence vides. 

Une fois installée, je vais faire mes courses pour la semaine. J’adore les supermarchés canadiens. On y trouve de tout et surtout certains produits que j’avais bien appréciés durant mon premier séjour, comme les Eggo, des gaufres canadiennes pour le petit-déjeuner, le sirop d’érable, évidemment, les cheetos, des chips au fromage… 

Je rentre des courses. Toujours personne dans l’appartement. Je commence à angoisser. Je me sens rapidement seule, je ne le supporte pas. Je n’ai pas de contact avec le monde qui m’entoure et cela me perturbe énormément. J’appelle mes parents en pleurs. La nuit passe très difficilement, j’angoisse, je fais des cauchemars où je suis bloqué dans ce pays. Et le lendemain : toujours personne à l’appartement. 

Trop grande différence d’âges

C’est mon premier jour de cours à l’école canadienne. J’y vais mais je ne sociabilise avec personne. Les gens ont déjà des groupes formés. Je rencontre trois Françaises, mais elles sont déjà amies depuis des années et n’ont pas l’air d’avoir envie de discuter avec d’autres personnes. Quand je leur propose de sortir, elles me disent qu’elles ont « déjà organisées le séjour » et « ne souhaitent pas s’intégrer avec d’autres gens pour rester entre elles »

Je rencontre un homme étranger – je ne me rappelle plus de son pays – qui est dans la même résidence que moi. J’y vois une opportunité. Mais notre différence d’âge est trop importante. J’ai 18 ans à ce moment-là. Il en a 45. On ne trouve pas de sujet de discussion. Il finit par s’éloigner de moi. 

Je rappelle de nouveau mes parents, en pleurs. Cela fait presque trois jours que je suis seule et c’est très compliqué à vivre. Avec leur accord, je décide finalement de quitter le Canada pour les rejoindre au Portugal, où ils sont alors en vacances. 

La vie remise en question

Déçue de l’expérience que je viens de vivre, je commence à remettre en doute le fait de m’éloigner et de vivre loin des miens. Ce doute se confirme à mon entrée à la fac de sciences sociales. Je perds l’envie de devenir criminologue. Les débuts à la fac sont très complexes. J’ai des grosses crises d’angoisse. Je remets ma vie en question. Ai-je choisi la bonne orientation, si je ne veux plus faire criminologue ? Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ma vie ? Je suis totalement larguée. 

Aujourd’hui, j’ai 19 ans et j’ai un nouveau projet. Je veux m’orienter dans la communication. La communication, c’est quelque chose que je fais depuis maintenant quelques années. J’ai créé une association anti-harcèlement. Elle s’appelle Association anti-harcèlement de la cité scolaire Marie-Curie et elle compte 45 membres. Je m’occupe de communiquer sur ses réseaux, en plus de mettre en place des actions de prévention comme des vidéos, des podcasts, des interventions dans les classes du collège au lycée. 

Je fais également des sites internet, sur lesquels je communique pour me trouver de nouveaux clients. Je fais des vidéos tutos sur l’informatique pour la chaîne YouTube « En 1 minute ». J’ai été acceptée dans la troisième meilleure école de communication de France, l’EFAP. En septembre prochain, j’espère repartir sur de nouvelles bases.

Eva, 19 ans, étudiante, Fontenay-aux-Roses

Crédit photo Flickr // CC Pascal Dazay

 

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