Robin B. 12/07/2021

Le temps d’un été, j’ai travaillé dans un autre monde

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En travaillant pour un riche Réunionnais, Robin a observé les inégalités sociales sur l'île. De la cité de La Trinité aux hauteurs de Saint-Denis.

J’ai 16 ans et, comme tous les ans, je vais en vacances chez ma mère sur l’île de la Réunion. Au programme pour ma mère : boire, fumer et dormir. Vous l’aurez deviné, ma mère est malade alcoolique. Mais, pour moi, le programme c’est charbon, car je n’ai pas un seul euro pour les vacances. Dans ma cité de La Trinité, à Saint-Denis, il n’y a pas beaucoup de débouchés ou d’occupations légales. Donc, pour ne pas faire comme les autres, je cherche du taff.

Dès mon arrivée, je file voir un vieil ami, Mathias. Il s’occupe d’un « réseau de travail ». Pas de vente de drogues, non. Lui, son truc, c’est les petits boulots comme l’aide à la personne ou le jardinage. J’embauche du 3 juillet au 2 septembre. L’homme chez qui je dois taffer habite dans les hauteurs de l’île.

La route pour aller au taff est plutôt pentue et sinueuse. Normal, on est sur un volcan ! Plus on monte, plus la végétation remplace le bitume. Il y a de moins en moins de petites maisons en tôle, de moins en moins de bâtiments, pas de voitures garées devant les maisons. Que des portails avec des grandes allées.

L’entrée de la maison faisait les trois-quarts de l’appartement de ma mère

Sur l’immense portail en fer blanc qui date de Jésus-Christ, le petit interphone se met à sonner. J’entends une voix plutôt jeune me dire : « Vous venez pour Monsieur Stanislas ? » Le portail s’ouvre et au bout d’une allée de 200 mètres se trouve une maison de style coloniale. Je ne suis pas du tout à l’aise. C’est la première fois que j’entre dans une maison aussi grande. L’homme de l’interphone m’ouvre la porte. Il doit faire un bon mètre quatre-vingt, habillé en trois pièces bleu nuit, une paire de lunettes noires rondes et opaques sur les yeux. Je lui explique le pourquoi du comment de ma venue. Il me fait visiter la maison de 220 mètres carrés sur deux étages avec jardin botanique et potager. Rien que l’entrée de la maison faisait les trois-quarts de l’appartement de ma mère !

Les jours suivants, je m’occupe des tâches ménagères, de l’entretien du jardin, de la terrasse et de la chambre de l’homme. Ça ne me dérange pas d’être en quelque sorte majordome et serviteur. Sa maison est tellement grande qu’il y a de quoi faire tous les jours. Mon objectif est de repartir avec au moins 350 euros en poche.

La Réunion se hisse à la première place des départements français les plus pauvres. 25 % de la population y vit sous le seuil de pauvreté. Un taux qui atteint les 37 % à Saint-Denis, la ville de Robin.

Le soir, quand je finis enfin de travailler, j’ai l’impression de revenir dans mon monde. Les longues rues pentues, les lampadaires tordus et défectueux qui clignotent, les chiens qui gueulent, les gens qui font la fête à même la rue, l’odeur de la nourriture qui cuit dans les bas quartiers. C’est plus vivant comparé au calme des hauteurs.

Je la garde même la nuit pour me souvenir des inégalités

Au bout de trois semaines de travail, je m’octroie des pauses pour pouvoir fumer un peu d’herbe et boire un café. L’homme me surprend et me dit que lui aussi fume de l’herbe, que ça l’aide pour ses maux de tête. Il me prend mon joint, lève ses lunettes et je découvre qu’il est aveugle. Je me demande comment il se déplace dans cette immense maison sans canne ni aucune aide. Comment fait-il pour se raser ? S’habiller ? Faire son nœud de cravate ?

Vu que je suis chez lui de 8 heures à 22 heures, petit à petit, on fait connaissance. Au mois d’août, il commence à se confier. Il m’explique qu’il est aveugle de naissance, que, comme moi, il est né sur l’île de la Réunion, qu’il a perdu ses deux parents à cause de l’alcool et qu’il a hérité de l’argent de sa famille, mais, qu’à part cette maison et ce terrain, il n’a plus rien.

Au début, j’étais juste intéressé par son argent, mais j’ai vite compris que sa vie n’était pas très enviable. Malgré sa richesse, il avait souvent envie d’une autre vie, qui soit simple et où les choses se gagnent au mérite et à la sueur. Être riche, c’était avant tout se méfier des autres, faire du tri dans les gens que l’on connaît, car il y a beaucoup de profiteurs sur cette planète.

Lors de mon dernier jour de travail, l’homme m’a offert un cadeau : une bague avec une pierre noire déjà usée. Depuis, je la garde même la nuit pour me souvenir des inégalités qui existent dans ce monde. Cette bague me rappelle aussi qu’il vaut mieux être pauvre et heureux qu’être le roi d’un royaume vide, comme mon ami Stanislas.

Robin, 21 ans, en formation, Saint-Denis (La Réunion)

Crédit photo © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

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