La santé mentale, « un truc de Blancs » ?
« Pff, les psys, la dépression… c’est pour les Blancs ça. » Avec mes potes, on aime bien se moquer et dire ça. Parce que chez les Noirs, tout ça, ça n’existe pas. En tant que Noirs, on se doit de garder la tête haute. On n’a pas le droit de se sentir mal, de baisser les bras et de refléter de la faiblesse. On doit être un modèle en toutes circonstances.
C’est ce que m’a laissé sous-entendre mon éducation. À mon âge, je ne devrais pas avoir de soucis. C’est ce que mes parents disent. Ils disent que si j’en ai, ce sont des futilités car je n’ai pas d’enfant et pas de loyer à payer.
Alors, j’ai pris l’habitude de me renfermer en cas de soucis. Je n’aime pas passer pour une victime et trop me plaindre. J’ai peur d’être jugée. Je ne m’exprime jamais, ni avec eux ni avec qui que ce soit. Parce que oui, il n’y a pas qu’eux qui pensent ainsi. Des amis aussi.
Leur faire comprendre, subtilement
Il m’arrive de vouloir parler sans le pouvoir. Donc des fois, subtilement, je fais comprendre aux gens que je ne vais pas forcément bien sans leur dire. Je poste des stories, je raconte des choses… Récemment, j’ai mis en story une vidéo de moi et j’ai écrit : « Il y a un an, jour pour jour, j’ai fait un burnout. » Une personne a réagi : « Mdr mais c’est un truc de Blanc ça. »
Sur le coup, ça m’a dérangée, mais après je me suis rappelé qu’il est noir. Il a grandi avec les mêmes morales que moi, donc je lui ai juste dit « tu ne m’apprends rien » et j’ai changé de sujet. Je me suis demandée ce qu’il dirait s’il savait qu’un jour j’ai vraiment sombré et fait exprès de me brûler (d’ailleurs plus jamais mdrr). Maintenant, je me contente de jouer avec la pierre et de regarder la flamme, mais je me demande : « Si je lui avais dit, est-ce qu’il se serait inquiété un peu plus ou est-ce qu’il aurait persisté avec son “truc de Blanc” ? »
Faire bonne figure, toujours
Je vis avec ce mal-être depuis quelques années. Je vis avec en silence, je ne laisse aucune de mes émotions négatives paraître. Je suis toujours souriante, bonne vibes et, hop, je passe inaperçue. Hélas, il y a des moments où je les ressens profondément et je n’arrive plus à faire semblant. Je me suis déjà sentie vraiment fatiguée mentalement. Quand je suis dans cette « phase », je me pose énormément de questions avides de sens, parfois dignes de philosophie ! Je deviens distante, vide d’esprit, facilement irritable et sensible. Je ne ressens plus rien, un peu comme de la mélancolie un peu plus « sévère ». Un ami m’a déjà sorti : « Wsh t’es en dépression ou quoi. » J’ai ri et j’ai nié, même si moi-même je n’étais pas sûre.
« Nous, Noirs, n’avons pas le droit à la santé… mentale. » Entre tabous, clichés culturels, absence de représentation et difficultés à trouver un·e psy, Sofiane, Ablaye, Ashley et Nissa dénonce les obstacles à la prise en charge de leurs troubles ou maladies.
Un jour, je suis allée voir l’infirmière du lycée, suite à une crise d’angoisse. On a parlé un peu, et elle m’a laissé sous-entendre que j’étais à la limite d’une dépression. Je me disais : « Je sais que c’est faux. » Mais peut-être que je sortais juste cette idée de ma tête. Elle m’a conseillé de parler et de consulter la psy. Le CPE était du même avis donc on m’a pris un rendez-vous avec elle. Les gars, vous vous rappelez ? « Ce ne sont que des futilités, et les psys, la dépression, c’est pour les Blancs. » Voilà ce que je leur ai répliqué, automatiquement.
Amélia, 17 ans, lycéenne, Gagny
Crédit photo Pexels // CC Alex Green