Camille A. 28/03/2016

Le SDF en bas de chez vous préfère-t-il Marvel ou DC comics ?

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Presque 150 000 SDF en France et beaucoup plus de mal-logés. Camille s'est attardé sur Bob, le SDF du coin et en a beaucoup appris sur lui, son mode de vie et ses goûts. Une belle rencontre.

Ce texte va parler d’une personne que, par respect pour sa vie privée, j’appellerai Bob. Pourquoi Bob ? Parce que c’est un nom fantastique.

Je ne considère pas vraiment Bob comme un ami, mais plutôt comme une connaissance lointaine. Il a quinze ans de plus que moi. Et même si nous avons passé un certain temps à discuter et que je le connais un peu je ne l’ai jamais invité à dîner. Simplement, nous sommes presque voisins et nous nous croisons fréquemment. Pour clarifier la situation, Bob est un mendiant qui fait la manche devant le supermarché tout près de chez-moi.

Croiser un regard, et se sentir mal à l’aise

Pendant très longtemps j’ai eu beaucoup de mal avec les mendiants et je sais que je ne suis pas le seul dans ce cas. Il n’y a rien de tel que d’en croiser un pour se sentir mal à l’aise. Déjà parce qu’ils nous mettent sous le nez l’incapacité de notre société à prendre soin des siens, mais aussi notre propre égoïsme et lâcheté. Qui ne s’est pas surpris à faire semblant de chercher quelque chose dans son sac ou de sortir ses écouteurs pour ne pas croiser le regard d’un d’entre eux ?

Dans une journée, en prenant le métro, je croise en moyenne cinq mendiants. Si je leur donnais à chacun 50 centimes (ce qui est plus que la plupart des dons qu’ils reçoivent), je devrais donc dépenser 2,50 euros par jour, ou 75 euros par mois. Pour mon petit salaire d’étudiant fauché, c’est beaucoup, et pourtant, je pourrais me permettre de le faire. Pour la plupart des gens avec un revenu correct, ces 75 euros ne représentent pas grand-chose. Alors pourquoi ne pas donner ?

Donner ? A quoi bon ?

Plusieurs raisons à ça. La première est simplement d’ordre pratique. Qui a envie de s’arrêter pour sortir son porte-monnaie quand son métro approche ? Et qui se balade toujours avec suffisamment de pièces en poche ? La deuxième est que la plupart des gens n’opèrent pas le calcul que je viens de faire, et que la dépense perçue en donnant à tous ceux qu’ils croisent leur paraît bien plus importante qu’elle ne le serait réellement. La troisième est qu’ils n’ont pas l’impression d’aider. Je donne fréquemment à Bob, et ça ne l’empêche pas de revenir tous les jours devant le supermarché. Alors à quoi bon ? Et vous savez-quoi ? Toutes ces raisons sont valables parce que donner n’est pas une obligation.

Le don est par définition une action facultative et refuser de donner ne fait pas de vous quelqu’un de mauvais. Bob, tout comme la plupart des SDF avec qui j’ai discuté, vit dans un refuge, il a le droit à au moins un repas par jour, et même si personne ne lui donne rien, il ne mourra pas de faim. Bien sûr, chaque hiver, plusieurs personnes dans sa situation meurent de faim et de froid, ce qui est une honte pour chacun de nous, mais il s’agit de cas extrêmes poussés aux ultimes marges de la société et pour lesquels la petite pièce que vous auriez pu leur donner n’aurait probablement pas été suffisante. Refuser de donner ne doit pas nous faire porter seul tout le fardeau de la misère en France, de même que donner ne peut suffire à nous en libérer.

Bob, pas mal de bagou, 20 euros par jour

Je me dois cependant de réfuter quelques idées reçues, à commencer par celle selon laquelle donner aux mendiants ne fait qu’alimenter les poches de terribles réseaux mafieux. Même s’il arrive que des criminels viennent racketter des mendiants, ce n’est pas une pratique courante pour la simple et bonne raison que tant qu’à voler de l’argent, autant viser quelqu’un qui en a. Non, statistiquement, la plupart des agressions et vols dont sont victimes les mendiants viennent d’individus isolés, qui les voient juste comme des proies faciles.

Autre idée reçue : les mendiants ont la belle vie à rester assis dans un coin et recevoir de l’argent. Outre les risques d’agression et de vol, mendier une journée entière n’a rien d’un travail facile. On pourrait le comparer à celui d’un homme-sandwich, obligé de se tenir toute la journée à un coin de rue pour distribuer des prospectus. C’est une tâche physiquement et psychologiquement éreintante.

D’autant plus que l’homme-sandwich gagne bien plus. Bob a pas mal de bagou et parvient généralement à obtenir 20-25 euros par jour, soit environ 700 euros par mois. Ce qui paraît beaucoup, sauf quand on considère que c’est bien en dessous du salaire minimum, et qu’il doit rester dans la rue pratiquement douze heures d’affilée pour l’obtenir. Et pour la plupart des gens dans sa situation, le revenu s’élève plutôt à 400 euros par mois.

Allez voir un Bob et posez lui des questions

« Tout cela est bien beau, mais pourquoi nous le dire ? », me demanderez-vous. Parce que c’est de ce manque de connaissances et de réflexion que naît notre malaise quand nous croisions un mendiant. Que notre premier réflexe soit de nous apitoyer sur son sort ou de le voir comme un parasite rongeant la société, nous nous empressons d’en détourner nos pensées, parfois après nous être délestés d’une piécette pour soulager notre conscience.

Et c’est parce que nous n’y pensons pas, que nous ne savons réagir face à eux. C’est parce que nous ne savons comment réagir que nous nous sentons mal à l’aise. Et c’est parce que nous nous sentons mal à l’aise… que nous n’y pensons pas. La boucle est bouclée, et la meilleure façon de la briser est de s’informer. Internet peut être un outil pour ça, de même que les associations travaillant auprès de personnes défavorisées, mais la meilleure façon de briser cette barrière d’incompréhension reste encore d’aller s’adresser aux personnes concernées. Allez voir un Bob et échangez quelques mots avec lui, posez-lui des questions, renseignez-vous…

Le but est de cesser de voir les mendiants comme des mendiants, mais comme des personnes avant tout. Des personnes en situation difficile, faisant un métier pénible, dangereux et sous-payé, mais qui ne se résument pas à ce seul métier, de même que vous ne vous résumez pas à votre travail ou a votre domaine d’étude.

Bob aime beaucoup les comics, il adore les héros Marvel mais n’apprécie pas ceux de DC. Est-ce que le
 mendiant qui se trouve près de chez-vous
 préfère Marvel ou DC ? Le jour ou vous aurez la 
réponse à cette question, vous pourrez
 commencer à le voir pour ce qu’il est réellement et vous pourrez le traiter comme un vendeur de 
journaux ou un facteur. Comme n’importe qui, 
tout simplement.

Et que vous donniez ou non,
 peu importe, en revanche, si quelqu’un s’adresse 
à vous pour vous demander de l’argent, ayez la
courtoisie d’au moins vous retourner vers lui 
pour lui dire : « Désolé, je ne peux rien vous
 donner. » Il ne vous en voudra pas, et vous ne 
vous en sentirez que mieux.

 

Camille, 23 ans, étudiant et volontaire en service civique, Ile-de-France

Crédit photo Gratisography

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