Le vilain petit canard
Habituellement, être la plus petite de sa famille signifie être la pourrie gâtée. La préférée. Celle sur qui toute l’attention est tournée. Mais pour moi, cette vérité n’est vraie que dans les films. Je suis la plus petite de la famille et je suis invisible.
J’ai trois grandes sœurs. Elles ont 21, 25 et 26 ans. Moi, j’ai 17 ans. Souvent, on me fait comprendre que je n’ai pas mon mot à dire. Quand on parle de l’actualité, ma mère me dit : « T’es trop jeune pour comprendre des choses comme ça. » Même quand je donne mon avis sur des produits pour les cheveux, elle ne m’écoute pas parce que je ne suis pas aussi vieille que mes sœurs.
Mes sœurs, elles, ne prennent pas ma défense. Elles sont passées par là. Et elles acceptent que ça se reproduise. Dans ma culture marocaine, on ne peut pas répondre à sa mère.
Le peu de fois où j’exprime ce que je ressens, on me traite de « mal élevée », d’« insolente » ou encore de « fille ingrate ». Mes parents m’ont toujours dit : « À ton âge, je n’osais même pas faire la moitié de ce que tu fais à mes parents. » Je suis très reconnaissante de tout ce que mes parents m’ont donné, de tout ce qu’ils ont sacrifié pour moi. Mais tous les biens matériels au monde ne pourront jamais remplacer des parents absents.
« Tes sœurs l’ont déjà fait »
Ma mère ne sait rien sur ma scolarité. Elle ne me demande rien. C’est à peine si elle sait ce que je fais à l’école et ce que j’aime dans la vie. Il n’y a pas longtemps, j’ai passé un concours d’éloquence. J’aurais aimé qu’elle vienne me voir ou qu’elle cherche à se renseigner sur le sujet. Mais non.
Je lui ai pourtant proposé de venir mais elle a refusé. Ce jour-là, j’ai vu les proches de mes copines venir pour les encourager, les filmer, leur glisser un petit sourire rassurant. J’ai ressenti un mal-être au fond de moi, un manque. Avec mes sœurs, elle a participé à toutes ces sorties, donc à moi elle me dit : « J’ai déjà vu ça avec tes sœurs. » Sauf que je suis une autre personne et que, pour moi, c’est la première fois. En plus, mes sœurs n’ont jamais fait de concours d’éloquence.
Elle me compare constamment. « Toi t’es plus mince que tes sœurs, tu devrais manger plus » ; « Ta sœur avait de meilleures notes que toi à ton âge. Continue comme ça et tu vas rater ta vie. » À ses yeux, je ne suis jamais à la hauteur. Même quand je donne le meilleur de moi-même, je ne reçois aucun encouragement. Si je fais bien les choses, elle me dit : « Tes sœurs les ont déjà faites. »
Chez moi, c’est la course à qui fera les plus longues études. À qui aura les meilleures notes. À qui accomplira le plus de choses. « À ton âge, ta sœur travaillait déjà en plus du lycée. Elle a toujours été plus indépendante que toi. » Ça a toujours été ça, « elle est plus… » ou « elle est moins… que toi ». Cette sorte de compétition malsaine m’a beaucoup éloignée de mes sœurs.
Heureusement, aujourd’hui, j’ai des copines que je considère comme telles. Elles me soutiennent et m’encouragent tellement que j’en oublie presque que ma famille ne le fait pas.
Dounia, 17 ans, lycéenne, Yvelines
Crédit photo Unsplash // CC Jorge Salvador
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