« Les corvées d’eau, c’est pour mes sœurs et moi »
Chez moi, il n’y a pas d’eau. Nous habitons une maison en tôle à Passamainty. Nous sommes dix à la maison : mes cinq sœurs, mes deux frères, mes parents et moi. Dix personnes, ça fait beaucoup d’eau tous les jours, même si on l’économise. Nous n’avons pas de robinet à la maison. Pour me laver, je dois aller chercher de l’eau à la rivière, qui passe à 15 mètres de chez nous. C’est pratique quand elle est calme mais, quand elle déborde, l’eau arrive partout. On n’a pas l’eau… mais parfois on en a trop !
L’eau de la rivière ne donne pas très envie, car il y a toujours des déchets dedans. Elle sert juste à se laver soi-même et à laver les vêtements. Je fais chaque jour onze voyages avec une grosse bassine : dix pour les humains et un pour les vaches.
Pour cuisiner, il faut une autre eau. Celle-là, pour la trouver, il faut que je descende au collège. C’est beaucoup plus loin. Là, il y a des robinets sur une rampe à eau. C’est gratuit, mais il y a toujours la queue. Ensuite, pour boire, il y a « l’eau de la carte » : c’est la plus précieuse. C’est une sorte de fontaine où l’on paye avec une carte en plastique comme celle du bus.
L’eau de la carte
La corvée d’eau, c’est un truc qui nous est réservé, à mes sœurs et à moi. J’y vais avec Roibouanti, qui a 13 ans, et Djamila, qui en a 11. Les bidons pour l’eau de la carte et l’eau des robinets du collège ont la taille d’une grosse poubelle et ils sont rouges et bleus. On a deux brouettes pour les transporter, alors, à tour de rôle, l’une de nous trois doit porter un bidon sur sa tête tandis que les deux autres poussent les brouettes. C’est fatigant.
Hier encore, quand je suis arrivée à la fontaine, il n’y avait plus d’argent sur la carte. Pour la recharger, il faut aller à la Sogéa de Kaweni. Avec les embouteillages, cela prend du temps, et ça coûte 40 euros pour 9 000 litres.
Quand on a de l’eau de la carte, on la verse dans des bouteilles en plastique qu’on rentre dans la maison pour que personne ne mette des maguirguiri à l’intérieur : ce sont des potions de magie noire. Il faut faire attention avec l’eau.
Parfois, j’oublie ces voyages quotidiens pour l’eau. Quand je vais chez mon grand-père à Kaweni, l’eau coule des robinets de sa maison. Là-bas, j’ai déjà pris des bains chauds. C’est ce que je connais de plus confortable.
Naïda, 14 ans, collégienne, Mayotte
Crédit photo Hans Lucas // © Bastien Doudaine – À Dzoumogné, des habitants et des enfants viennent chercher de l’eau potable avec des bidons à la borne fontaine monétique.
« Nous ne sommes jamais dans les livres », autoportrait de la France des outre-mer
Ce récit a été écrit avant le passage du cyclone Chido fin 2024. Il est extrait de notre livre Nous ne sommes jamais dans les livres – Autoportrait de la France des outre-mer, à paraître le 27 mars 2025 aux éditions Les Petits matins.
Au cours de l’année 2024, les journalistes de la ZEP ont arpenté les cinq départements ultramarins pour accompagner 600 de leurs habitant·es à raconter leurs territoires, leurs façons d’y vivre, d’y étudier, de s’y déplacer, d’y faire racine ou de s’en éloigner.
160 récits individuels qui dressent par petites touches un récit choral de cette France qui n’est pas en Europe.
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