« Ma fille voulait être “ idol ” »
Ma fille, qui avait 11 ans à l’époque, a commencé à s’intéresser à la musique coréenne, le 13 juin 2013, jour du début officiel du groupe de K-pop (Korean pop) BTS. Ce groupe parle à toutes les générations. Je les ai vus grandir sur le net.
Ma fille voulait être « idol », une idole de K-pop. Son pseudo était Lunarmy. Je pense qu’elle trouvait un certain apaisement et une certaine sérénité dans cette culture. Même si elle n’est plus là physiquement depuis le 26 juillet 2022, elle reste toujours vivante à travers moi.
Quand c’est arrivé, il a fallu choisir une sépulture en lien avec son univers et ce en quoi elle croyait. J’ai demandé à la ville l’autorisation de mettre un arbre de vie qui fait office de stèle. Dans la culture asiatique, ça représente un trait d’union entre la terre et les cieux. Les racines protègent le corps restant sur la terre, le tronc représente l’homme et les couronnes protègent l’âme et l’esprit, bien distincts, dans les cieux.
Pour sa sépulture, j’ai utilisé deux de ses dessins et un de ses textes. C’était un texte philosophique sur le sens de la vie. Elle était beaucoup plus avancée que bon nombre d’adultes. Elle dessinait aussi beaucoup de mangas. Elle peignait. Elle écrivait des poèmes.
Avec elle, elle a aussi des personnages et des petites choses auxquelles elle tenait. Sa sacoche panda, par exemple. Elle était aussi dans la mode kawaii. Cela veut dire « mignon » en japonais. Quand c’est arrivé, il a fallu choisir sa tenue rapidement. Elle porte des bracelets à l’effigie de chaque membre de BTS. Elle a une photo de Suga, un des chanteurs du groupe. Son chanteur préféré.
« Elle mangeait uniquement avec des baguettes »
Elle a eu la chance de les voir en concert à trois reprises, à Paris-Bercy et au Stade de France. C’était galère pour obtenir des places de concert. Les gens viennent de toute l’Europe, des USA pour les voir quand ils passent en France. J’y suis allée avec elle. À ce moment-là elle était super vivante, elle bougeait.
Les BTS sont à l’aise dans différents styles musicaux : la pop, le rap, le hip-hop et le RnB. Ils allient le chant et la danse avec des chorégraphies millimétrées. Ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent. Ils sont mitraillés par les photographes. Tous leurs faits et gestes sont déformés et ils sont obligés de s’excuser publiquement pour des banalités. Personnellement, leur vie ne me donne pas envie. J’essayais quand même un peu de ramener ma fille dans la réalité…
Ma fille s’est passionnée pour la culture coréenne. Grâce à ça, elle s’est mise à beaucoup lire. En dehors des mangas, elle lisait des webtoons (des bandes dessinées en ligne), des textes de personnes lambdas qui écrivent des histoires d’amour avec des idoles, notamment. Elle refusait de prendre des couverts et mangeait uniquement avec des baguettes. Elle s’habillait aussi comme les chanteurs dont elle était fan.
Mon objectif aujourd’hui, c’est de partir à Busan, un des lieux cultes des séries coréennes, sur la côte. Sur les hauteurs, il y a un hôtel magnifique. Elle rêvait d’aller là-bas et surtout à Séoul. J’aimerais aussi aller dans la ville de Daegu pour faire un don de la succession de ma fille à l’orphelinat. Je veux que ça serve à quelque chose qu’elle aurait aimé pouvoir faire de son vivant.
Pour l’instant, je ne peux pas partir. J’ai des lapins, un chat, et je ne trouve personne pour s’occuper correctement de ce petit monde. Les lapins, Lucky et Shy, ce sont les siens. Je leur parle en coréen. Je ne le prononce pas aussi bien que ma fille. Elle se moquait d’ailleurs de moi à ce sujet. Elle me reprenait. Je ne l’ai jamais mal pris.
Célébrer les souvenirs
Quand je vais au cimetière, j’ai une enceinte avec sa clef MP3 et je passe des morceaux. J’y vais chaque jour, selon mon emploi du temps. Je lui donne des nouvelles de son « frère », le chat, et de ses « petits bébous d’amour », ses lapins.
Le 8 mars en France, c’est l’anniversaire de Suga. Avec le décalage horaire, nous sommes le 9 mars en Corée du Sud. Je chante la petite chanson que je chantais avec ma fille en coréen aux animaux. Avant, il fallait faire un gâteau au chocolat. Je ne fais plus le gâteau, mais je continue la chanson.
Le jour anniversaire d’Angélina, le 29 mai, j’organise une bénédiction à son heure de naissance. Le 26 juillet, le jour de son décès, et le 10 août, le jour de son inhumation, aussi. Je fais un bouquet de fleurs ou une composition florale sur sa sépulture. Et le jour de mon anniversaire, le 8 décembre, je fais un sapin de 80 centimètres. Avec ma fille, nous avons toujours décoré le sapin ce jour-là. Le gardien du cimetière ne voulait pas que mon sapin fasse plus de 40 centimètres, mais je lui ai fait remarquer que c’était tout petit. Avec ma fille, on en faisait des grands !
Elle sait que mon départ en Corée se fera. Quand le moment sera venu. Elle voulait y aller en avion. Mais il faut pouvoir rester assis pendant onze heures et j’appréhende, parce que je n’ai jamais pris l’avion. Un avion, s’il explose, il ne reste plus rien.
Sandra, 43 ans, bénévole dans une association, Avon
Crédit photo Hans Lucas // © Daniel Perron – Des fans du chanteur Jin du groupe BTS tentent de l’apercevoir rue de Rivoli à Paris alors qu’il porte la flamme olympique, le 14 juillet 2024.
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La K-pop, ma communauté engagée, par Stigma, 15 ans. Quand elle a découvert la K-pop, elle a aussi rencontré une communauté LGBTQIA+ et antiraciste, devenue une vraie famille pour elle.