Jeanne M. 28/01/2021

Être mère ou avoir une carrière, je ne veux pas choisir

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Un jour Jeanne sera mère, elle le sait. Mais entre les carrières hachées et la charge mentale des femmes de son entourage, elle se surprend à douter.

« Moi, avoir des enfants ? Jamais, plutôt mourir. » Ça, c’est une de mes meilleures amies, qui ne tolère les êtres humains de moins de 10 ans qu’à une distance respectable. Elle n’a aucune envie d’être mère, elle l’a toujours su, et c’est une certitude toute aussi valable qu’une autre.

Moi, à l’inverse, j’ai toujours su que je voulais avoir des enfants. Pas tout de suite, bien sûr, mais je n’imagine pas mon futur sans un ou deux petits êtres qui m’appellent « Maman » et ont mes yeux ou mes cheveux. Peut-être que c’est la pression de la société, parce qu’on m’a collé des bébés en plastique dans les bras dès mes premiers Noëls, ou parce que je suis l’aînée d’une grande famille et que j’ai toujours été entourée par une multitude de frères, sœurs, cousins et cousines. En tout cas, depuis aussi loin que je m’en souvienne, je sais que j’ai envie d’être mère.

On pourrait penser qu’à partir de là, la question serait réglée. Ce n’est pas particulièrement compliqué ni révolutionnaire. Pourtant, depuis plusieurs années, le doute s’installe. Entre mon éducation au féminisme et mes observations du monde autour de moi, je remets de plus en plus en question le caractère réalisable de ce rêve, en tout cas tel que je l’imagine.

Beaucoup, beaucoup de renoncement

Si j’ai envie d’être mère, c’est loin d’être ma seule aspiration. Je veux aussi avoir une carrière épanouissante, une vie sociale, du temps pour voyager. Et quand je lis un article sur la charge mentale, puis que je suis dérangée par la sonnerie de mon téléphone (sur lequel ma tante m’appelle pour me supplier de récupérer mes cousines à l’école parce que « la nounou vient de me prévenir qu’elle est malade et je suis en rendez-vous jusqu’à 20 heures, c’est la panique, tu me sauverais vraiment la vie »), cette vision de moi-même comme future femme accomplie me semble de plus en plus utopique.

Tout autour de moi me prouve que si « choisir, c’est renoncer », alors pour une femme, le choix d’être mère implique beaucoup, beaucoup de renoncement. Élever ses enfants, réaliser ses objectifs professionnels, avoir du temps pour soi : il semblerait qu’il faille toujours faire une croix sur quelque chose. Est-ce que vous serez plutôt du genre mère dévouée, femme d’affaires et burn-out, ou bien promotion, cours de yoga et enfants confiés à des baby-sitters six jours par semaine ?

Non seulement il s’agit de choisir, mais quel que soit ce choix final, ce n’est jamais le bon. Avoir des enfants et ne pas les élever, c’est être une mauvaise mère, subir l’opprobre sociale, faire mentir ce fameux « instinct maternel » placé au-dessus de tout le reste. Faire une croix sur ses ambitions professionnelles, c’est s’exposer au risque de regrets qui peuvent durer toute une vie. Renoncer à avoir du temps pour soi, c’est la garantie d’imploser. Il n’y a aucune façon de gagner à ce jeu-là.

En tout cas, j’ai du mal à trouver des exemples de femmes qui gagnent. Celles qui m’entourent sont admirables, fortes, accomplies dans leur travail et aussi dévouées à leur famille que possible. Mais à les voir courir partout en permanence, jongler entre les réunions professionnelles et les rendez-vous médicaux, les listes de courses et les devoirs à faire, je dois avouer que ça ne me fait pas rêver.

Pas envie de me sacrifier pour eux

On pourra me rétorquer, à raison, qu’il faut être deux pour faire un enfant. C’est vrai dans un monde parfait où les parents seraient aussi impliqués l’un que l’autre dans l’éducation de leur progéniture et tout aussi disposés à lui accorder l’amour, l’attention et le temps dont elle a besoin. Dans un monde parfait, les tâches ménagères et autres obligations liées à la vie d’adulte et à la tenue d’une maison seraient partagées à parts égales.

Pourtant, il n’y a pas besoin de regarder bien loin pour savoir que ce monde parfait n’existe pas. Je le vois à chaque Noël, quand les femmes de ma famille s’activent à faire manger les enfants en cuisine pendant que leurs conjoints discutent affaires et politique dans le salon. Ou cette fois où l’une de mes tantes a annoncé partir en week-end avec des amies et que la première question qui lui a été posée, d’un ton estomaqué, fut : « Mais qui garde tes enfants ? » Et qu’elle s’est entendue répondre « qu’est-ce que tu as de la chance ! » quand elle a répondu que c’était son mari. Inutile de préciser que mon oncle est parti en week-end des dizaines de fois et que personne ne s’est jamais inquiété de savoir ce qu’allait devenir sa progéniture.

Pour ces pères, cette implication reste souvent vue comme une faveur et non comme une évidence. Les hommes autour de moi « aident ». Ils « participent ». Ils « font leur part ». Pourtant, dans les faits, cette part reste toujours inégale. Je m’en suis rendu compte après le divorce de mes parents et le début de la garde alternée. Pour mon père, pourtant présent, disponible et impliqué dans notre vie de famille, ça a été un choc de se retrouver à gérer seul la maison, et les enfants une semaine sur deux. Rapidement, il s’est plaint de « devoir tout faire » et de ne pas recevoir suffisamment d’aide de ma sœur et moi. Même s’il avait toujours « participé », le fait de se retrouver seul maître à bord changeait tout. Alors que ma mère, elle, nous a dit avoir l’impression d’en faire deux fois moins qu’avant, maintenant qu’elle était seule la moitié du temps.

Maria a 20 ans. Elle est étudiante, mais aussi maman. Elle a dû apprendre à gérer de front ses études et sa vie de mère. Un exercice pas toujours facile…

Capture d'écran de l'article "Etudiante, j'ai appris à devenir maman". On y voit le titre, avec en photo une mère plongée dans la pénombre face à un écran d'ordinateur qui éclaire son visage. Tout en regardant l'écran devant elle, elle a la main droite posée sur la tête de son enfant en bas âge en pleurs.

Quant aux hommes du XXIème siècle, ceux de ma génération, dont on aime à penser qu’ils seront les premiers pères à vivre dans une parité totale, tous ces questionnements leur sont pour ainsi dire étrangers. Parmi mes amis, certains aspirent certes à la paternité, mais de là à se demander s’il faudra pour cela revoir leurs ambitions professionnelles et personnelles à la baisse ? Non, ils n’auront pas un jour à choisir entre leurs rêves.

La première fois que le sujet est venu sur le tapis en leur présence, parce que j’en discutais avec mes amies, ils ont d’ailleurs été étonnés de découvrir que nous nous projetions à ce point. Les enfants, c’est dans une éternité, pourquoi commencer à se prendre la tête maintenant ? Pour eux, tout est de l’ordre du « on verra ». Quand viendra l’heure d’avoir des enfants, en fonction de l’état de leur carrière, ils aviseront. Ils n’avaient même jamais pensé, avant cette conversation, au fait d’être potentiellement confrontés à un choix entre travail, vie de famille et autres aspirations personnelles. Je crois que, consciemment ou pas, ils savent que ce n’est pas de leur part qu’on attendra le plus grand sacrifice.

Alors que pour moi, mes amies qui savent vouloir des enfants, et toutes les femmes de notre génération qui rêvent de maternité autant que d’égalité et de réalisation de soi, la question demeure : nos ambitions survivront-elles à l’épreuve de la maternité ? Et surtout, sommes-nous prêtes à sacrifier les femmes que nous sommes et que nous deviendrons pour les mères que nous aspirons à être ?

Jeanne, 22 ans, volontaire en service civique, Paris

Crédit photo Unsplash // CC Standsome Worklifestyle

 

 

La charge mentale, c’est quoi ?

Le 21 mai 2020, le terme « charge mentale » a fait son entrée dans Le Petit Larousse illustré. Dans sa BD Fallait demander, la dessinatrice Emma décrit avec simplicité et efficacité ce phénomène : « Le poids psychologique que fait peser – plus particulièrement sur les femmes – la gestion des tâches domestiques et éducatives, engendrant une fatigue physique et, surtout, psychique. »

 

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