« Métisse, je suis dans quelle case ? »
Quand j’avais entre 5 et 6 ans, j’adorais aller en colonie de vacances. Une année, à Pâques, nous sommes allés faire une chasse aux œufs dans un pré. Au moment de compter les œufs, tout le monde en avait, sauf moi. Pour une petite fille de cet âge, c’est très décevant. Je me souviens avoir pleuré et, quand ma mère est venue me récupérer, je lui ai expliqué ce qui était arrivé.
Elle est allée vers ma « tatie » – c’est comme ça qu’on appelle les dames qui s’occupent de nous en colonie – pour lui demander pourquoi je n’avais rien eu. Et la tatie lui a répondu : « White people always got they fridge full, anyway » (« De toutes façons, les Blancs ont toujours le frigo plein »).
J’étais très jeune mais ces paroles m’ont énormément blessée. Je pense même que c’est depuis ce jour-là que j’ai commencé à complexer sur ma couleur. J’ai 15 ans et je suis métisse. Ma mère est une Française blanche et mon père un Espagnol noir de République dominicaine. Moi, je suis assez claire de peau, mais j’ai les cheveux très frisés. À l’origine ils sont marron, mais je les ai teints en blond. Ici, dans mon île de Saint-Martin, je suis considérée comme blanche.
Dès l’école primaire, j’ai été harcelée à cause de ma couleur de peau. Pour mes camarades, j’étais trop claire. Ils me disaient que je devais retourner en métropole alors que je suis née à Saint-Martin et que je n’étais jamais allée en France !
Plus tard, en quatrième, je me suis battue avec une fille parce que j’en avais marre des remarques racistes du genre « This white girl trying to turn black » (« Cette fille blanche qui veut devenir noire ») ou « Why she don’t go by she people them ? » (« Pourquoi elle ne retourne pas chez les siens ? »).
Apprendre à s’aimer
En fait, j’ai toujours eu des amies noires, parce qu’ici il y a très peu de Blancs dans les écoles publiques : ils vont plutôt dans le privé. Et puis il y a la question de la langue. Si elle comporte une partie hollandaise et une partie française, la langue principale de l’île est l’anglais. Dans la partie française, on va dans une école française, mais on parle anglais entre nous. On appelle ça le broken english. Avec mes amies, on pourrait même dire qu’on a notre propre langue parce qu’on est constamment en train de mélanger du français et de l’anglais !
À la maison, la langue principale est le français, mais on le mélange avec de l’anglais aussi. D’ailleurs, mon père ne parle pas français. Mais, ici, si tu es un Blanc qui parle anglais, on te dit que tu essaies d’être noir. Et si tu es un Noir qui ne parle pas anglais, on te dit que tu n’es pas un vrai Noir !
Bref, à Saint-Martin, les gens se sentent obligés de nous mettre dans une case : tu es blanc ou noir, il n’y a pas de milieu. Mais moi qui suis métissée, dans quelle case suis-je ?
Même si j’ai été complexée par ma couleur « trop claire » et que je me suis sentie différente, avec le temps, j’ai appris à m’aimer. J’ai pris du caractère, donc les gens ont arrêté de m’embêter. Je subis encore des petites remarques, mais beaucoup moins qu’avant. Le temps a passé et, aujourd’hui, je suis même assez fière de ma couleur. Parce que, at the end of the day, we all have the same blood color (en fin de compte, nous avons tous la même couleur de sang).
Stélina, 15 ans, Saint-Martin
Crédit photo Flickr // CC Camille Guévaudan
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