Élie V. 07/11/2022

#MeToo : j’en suis où ?

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Quand #MeToo a déferlé sur la planète, Élie s'est pris une claque. Cinq ans plus tard, elle n'arrive pas encore à en mesurer tous les effets.

#MeToo, cette année tu as cinq ans. Cinq ans que tu es sur toutes les bouches et toutes les touches.

Il y a cinq ans, j’avais 19 ans. J’étais déjà un peu adulte. Mais j’ai du mal à distinguer, dans mon cheminement, mes réflexions, mon engagement, ce que tu m’as apporté. Est-ce que c’est toi ? Ou est-ce que j’ai seulement grandi ? Qu’est-ce que je serais sans toi ? Qu’est-ce qu’on serait sans toi ?

2017. Ta naissance. L’onde de choc. Les femmes écrivent tout haut ce que toutes pensaient tout bas. Il fallait que ça sorte. Enfin ! Tu en auras réveillé·e plus d’un·e. En fait, tu auras réveillé tout le système. Pour une fois, pas que les féministes. Pas que les concerné·es. Mais tou·tes les autres. Et moi aussi.

#MeToo, tu nous auras réveillé·es

Je devais être à la fac. À la radio, tout le monde parlait de toi. À la télé aussi. Mais je n’ai pas de souvenirs précis de tes premiers mots. Parce que je n’étais pas tant choquée. Ni même étonnée.

Je pense plutôt que j’étais excitée de voir enfin les agresseurs pointés du doigt. Le retournement du stigmate, en place publique. Tu vois, ce côté émouvant, exaltant qu’on peut ressentir dans les rassemblements féministes ? L’effervescence, la sororité. C’est paradoxal hein. Les propos et les actes dénoncés sont insoutenables mais on s’y sent bien.

En fait, je ne sais plus vraiment si c’est toi qui m’as ouvert les yeux ou si j’ai beaucoup grandi à cette époque. Je commençais à me politiser. Avant, j’étais sûrement un peu trop jeune. Un peu trop vierge. De tout. J’avais déjà quelques outils féministes. Des lectures. Des revendications. Mais ce dont je me souviens, c’est que sans toi #MeToo, je me sentais assez seule.

Je voyais bien que tout ne tournait pas rond, mais je n’arrivais pas à identifier le problème. À le nommer. À en parler. Toi, les deux pieds dans le plat, tu as tout remis en perspective.

#MeToo, tu nous auras armé·es

Mettez des préservatifs, prenez la pilule, et vous les filles, rappelez-vous qu’on ne doit jamais vous forcer. Nous forcer ? On dirait une caricature de ces séances d’éducation sexuelle.

En fait, je me souviens que beaucoup de nos relations étaient problématiques entre le collège et le lycée. Les garçons obsédés par leur performance. Le porno, omniprésent. Les mains aux fesses, pour rire. Le stigmate du puceau. Le trophée du charo. Le stigmate de la pute. Ses photos d’elle qui ont tourné dans tout le lycée. « Ils sont petits, ses seins. » On ne connaissait pas encore le terme de revenge porn. C’était elle la victime, mais c’était surtout elle la pute. Et puis les rires, pour dédramatiser. C’était des blagues nan ? On ne connaissait rien.

Quid de la masturbation féminine ? Deux ans avant ta naissance, #MeToo, une soirée sympa en terminale, au début du printemps. « Elle, elle le fait » « Attends, de quoi tu parles ? Elle se touche ? » ; « Ouais, mais on en connaît toutes » ; « Après nous on est en couple donc bon, mais ouais ouais. » Le vertige. En écoutant mes copines discuter, on me rappelle que la masturbation, c’est sale. Ou un truc de frustrée. Enfin, seulement pour les femmes. Pour les hommes, c’était nécessaire. Je n’ai rien su dire. J’aurais eu l’air d’être sale. Ou frustrée. J’étais encore seule dans mes idées. Et pourtant. « Tu te dis féministe, mais t’aimes la levrette et les fessées au lit. » Voilà ce que les autres lui disaient, à cette amie.

C’est seulement à la fac qu’on pouvait parler plus librement de plein de sujets sur nos corps de femmes et sur notre sexualité, ouvertement, entre ami·es. Peut-être qu’on avait grandi. Mais sûrement que tu as eu un impact sur notre éducation. À tou·tes. Et aujourd’hui, on parle enfin de consentement, de harcèlement, de viol, de féminicide. On a mis des mots. On a même enfin pu parler de clitoris. Et de vulve. Sans tabou. Ou déjà, beaucoup moins.

C’est grâce à toi tout ça. Quand je vois des adolescent·es soutenir le combat dans la rue, sur les réseaux, dans les médias, je suis émue, parce que j’ai l’impression que ça nous a été interdit à mon époque. Et c’était il n’y a même pas dix ans. Et je me dis que j’aurais bien aimé, moi aussi, avoir ça. Grandir dans un monde plus serein face à ces questions.

#MeToo, tu nous auras éloigné·es

#MeToo, tu nous as permis de nous retrouver et de nous rapprocher. J’avais enfin le mouvement féministe dont j’avais tant rêvé. Dans un sentiment d’unité et d’effervescence. Entourée. Tellement bien entourée. Tu nous as aidé·es à nous trouver avec mes ami·es féministes. À nous réunir entre nous, à partager, à nous confier, à discuter de tous ces sujets qui nous animent. À médire, avec plaisir.

Mais tu nous auras aussi éloigné·es de certain·es autres, des récalcitrant·es. Il y a cinq ans, je me disais qu’on n’avait pas tous les bons outils pour t’écouter. Mais aujourd’hui tu as cinq ans, tu es partout et à portée de main. Je n’arrive plus à leur dire. Je n’ai plus envie. Ni la force.

J’ai essayé, vraiment. J’essaie encore parfois, parmi mes proches. D’éduquer les autres. Mes ami·es. Mes parents. Ce n’est pas facile, parce que c’est se confronter aux critiques, aux incompréhensions et au sexisme ordinaire. C’est violent parfois. On est déçu·es. On prend sur soi. Et parfois, il faut faire des choix. S’éloigner pour se protéger. Choisir d’être bien entouré·es. Quand c’est possible.

#MeToo, tu nous auras contrarié·es

Tu m’as aidée à m’affirmer. Et à me radicaliser dans mon féminisme. Mais, ça aussi, c’est encore dur à gérer. Parce qu’on est jeune toi et moi. Et parfois je me perds. Il y a quelques semaines, un homme a fait demi-tour dans la rue pour venir me dire que j’avais « un regard incroyable quoi ». Et je n’ai pas su réagir. J’ai perdu mes moyens. J’étais déconcertée. J’ai dit « OK » et j’ai continué mon chemin.

Mes copines m’ont dit que « les hommes, c’est plus possible ». Qu’on devrait tous les exterminer. Mes parents m’ont dit que « c’est parfois sympa les compliments des inconnus ». Que ça ne relève pas du sexisme systémique. Et c’est vrai, ce n’était pas une agression. Mais ça m’a travaillée. Et dérangée. Et je pense que ce qui m’a le plus dérangée, ce n’était pas tant l’acte en lui-même. Mais le fait que je n’ai pas su me positionner, prendre du recul. Que j’ai mentalisé, mentalisé, mentalisé…

Parce qu’aujourd’hui #MeToo, je te dis tout ça, mais moi-même je suis loin d’être un modèle. Et il est là mon problème. Tu m’as éduquée mais tu as remis en question tout ce que j’avais appris auparavant. Et, parfois, j’ai du mal. Tu me fais culpabiliser parce que je n’arrive toujours pas à trouver une issue à toutes mes contradictions. À trouver un équilibre. Une cohérence.

Le sexisme c’est partout, même dans le milieu lettré et féministe de Rebecca. On a beau en avoir conscience, certains mécanismes restent.

Capture d'écran d'un article publié sur le site de la ZEP le 24 février 2015 intitulé "Elle lit Causette, mais se tait lorsque son mari parle". Image de deux femmes devant un buffet lors d'un apéro dinatoire, avec le titre sur l'image.

Parfois je me dis que je dois embrasser ces paradoxes. D’autres fois, j’ai honte. Et je me perds. Je lis Virginie Despentes en écoutant les Hit R’n’B 2000. J’ai canceled Roman Polanski. Mais Picasso ? Est-ce que je peux, encore, l’aimer… ? Est-ce qu’on peut encore le programmer ?

En fait #MeToo, je te suis reconnaissante pour tout. Mais tu m’auras essorée. Parce que je ne vois pas encore le bout du tunnel. Parce qu’aujourd’hui tu es dans notre quotidien, un peu comme une routine. On serait presque désabusé·es. Et parce que c’est épuisant d’être engagée. Parce que c’est douloureux de cogiter. Depuis que tu es là, je suis d’autant plus déçue quand on perd une bataille. Quand chaque jour, les nouvelles affaires continuent de pleuvoir.

Élie, 24 ans, volontaire en service civique, Paris

Crédit photo Pexels // CC Maggie Zhan

 

 

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